«Maintenant que tu n’es plus dans un pays dangereux, il faut que tu ailles te fourrer dans le Covid!»

Kathrine Zimmermann à l'unité de soins intensifs des HUG le 14 avril 2020.

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Infirmière spécialisée en soins intensifs formée en Suisse, ayant travaillé par le passé au service des soins intensifs de pédiatrie et de néonatologie aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), Kathrine Zimmermann a travaillé une dizaine d’années en tant qu’humanitaire en Afrique, en Amérique centrale et en Suisse. Depuis 4 ans, elle occupe le poste de responsable du programme d’amélioration des soins de santé au siège de Médecins Sans Frontières (MSF) à Genève. Détachée aux HUG pour intégrer l’unité des soins intensifs pour les patients atteints du Covid-19 au cours du mois de mars 2020, elle y partage son quotidien sur une urgence inattendue.

Quand j’arrive pour prendre mon tour de garde ce soir-là, je découvre le bloc dans lequel je serai affectée pour les 12h prochaines heures. Le chassé-croisé entre ceux qui commencent leur tour et ceux qui le finissent est impressionnant les premières fois car nous sommes très nombreux ! A l’entrée des vestiaires, c’est le moment de choisir et enfiler sa tenue pour la nuit. La taille peut varier mais pas les couleurs, du bleu et du blanc ! Dès que l’on pénètre dans les zones où les patients sont intubés, on enfile des masques FFP2 ou masques « canards ». Dans les corridors, par précaution, on porte tout de même des masques classiques afin de se protéger les uns les autres.

Après deux semaines et demi de gardes dans le bloc Covid-19, j’ai passé une nuit dans un service de soins intensifs pour les patients non-Covid, habillée normalement avec un masque chirurgical normal. Ça fait très bizarre de se retrouver sans tout cet habillement, on se sent presque tout nu !

Donner mon petit coup de main

Lorsque la pandémie s’est déclarée et que des cas ont été admis en Suisse, je me voyais difficilement rester à la maison en télétravail, surtout lorsque j’ai eu la possibilité de venir renforcer les équipes de l’hôpital et donner mon petit coup de main. Si je ne m’imaginais pas forcément répondre à une épidémie d’une telle ampleur en Europe, je suis malgré tout contente de pouvoir participer, à mon niveau, à cette mobilisation incroyable. Aux HUG, les soins intensifs ont vraiment été étendus sur plusieurs bâtiments. Des salles d’opération, de réveil, de soins intermédiaires et d’autres services ont été réaffectés à l’accueil des patients atteints du Covid-19. 

Les deux premières semaines, je me suis occupée de plusieurs « jeunes » patients, âgés de moins de 55 ans, dont beaucoup ont pu être extubés et remontés à l’étage des soins continus. Certains sont sortis quelques jours après. Ces nouvelles sont positives et c’est ce qui nous fait tenir le rythme. C’est tout de même impressionnant de voir tous ces gens intubés, souvent couchés sur le ventre pour améliorer leur respiration. On ne voit habituellement pas autant de patients intubés dans un service de réanimation. Là, ils le sont tous et à mon arrivée, on nous a prévenu que selon l’évolution de la crise, nous pourrions potentiellement nous retrouver avec 5 patients intubés par infirmier. Je me suis retrouvée avec 3 d’entre eux pour mon premier jour et je dois dire que c’était très stressant quand on se retrouve parachuté dans un service inconnu, après plusieurs années hors des soins intensifs. Heureusement, nous n’en sommes pas arrivés là et la situation est plutôt en train de s’améliorer.

Un point qui me marque particulièrement dans cette expérience hors du commun, c’est la solitude des patients. Le personnel soignant, infirmières, médecins, est le seul lien entre la famille et le patient. Il y a quelques jours, un des patients dont je m’occupais allait lui aussi fêter son anniversaire. Nous avons le même jour de naissance. Moi, j’ai pu le fêter en famille, même si c’était par Skype. Lui, il a passé le cap de ses 80 ans seul. Et sa famille aussi. C’est dur. J’ai appris depuis qu’il avait été extubé. J’espère qu’il retrouvera bientôt sa famille !

Les parallèles avec mes expériences d’humanitaire, je les vois essentiellement dans les craintes qu’inspire la maladie.

Les parallèles avec mes années sur le terrain, je les vois essentiellement dans les craintes qu’inspire la maladie. Les gens qui paniquent, stressent, vivent mal ce climat épidémique, et les inquiétudes de mes collègues et moi-même. 

Je suis cela de loin, mais je sais que mes collègues de MSF se préparent sur le terrain et aident à la mise en œuvre des mesures de prévention pour que la maladie ne se propage dans les systèmes de santé moins bien lotis qu’en Europe. Mais les ressources humaines vont faire défaut pour la prise en charge des cas, sans même parler des profils spécialisés en réanimation qui manquent. La prise en charge ne pourra pas être la même qu’ici. Les restrictions des mouvements de populations et de l’acheminement des marchandises vont compliquer la mise en place des réponses.

On se sent presque déjà démunis et limités dans ce que l’on va pouvoir apporter même en faisant tout notre possible pour appliquer les meilleurs protocoles de soins possibles.

Le Terrain ? J’y suis un petit peu en ce moment

Ces jours-ci, je vis dans une bulle et ma principale préoccupation est de m’occuper les patients dont je suis responsable. Mais quand je pense à mes collègues humanitaires engagés sur certains terrains, je me dis que ça va être dur. Je ne sais pas si je repartirais dès demain sur une réponse Covid-19 dans un autre pays. Ce qui est sûr, c’est que je prendrai le temps d’y réfléchir sérieusement.

En Suisse, j’y suis d’ailleurs un petit peu en ce moment si j’en crois la réaction de mes proches qui me disent : « Maintenant que tu n’es plus dans un pays dangereux, il faut que tu ailles te fourrer dans le Covid ! ». Heureusement qu’ils me font confiance!