Affronter les conséquences du Covid-19 sur la tuberculose dans les bidonvilles de Manille

Tuberculose 2023 à Tondo, Manille, Philippines.

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La pandémie de Covid-19 a mis à rude épreuve la lutte contre la tuberculose dans le monde. Si le coronavirus a sensibilisé la population générale aux risques associés aux maladies aéroportées, les populations vulnérables - telles que les populations urbaines les plus pauvres - ont été exposées de fait à un risque accru d'infection par la tuberculose. Aux Philippines, où plus de 10 millions de personnes vivent dans des bidonvilles, le confinement fut l’un des plus longs au monde. Le pays compte parmi les huit pays concentrant à eux seuls plus des deux tiers des cas mondiaux de tuberculose. Pour faire face aux conséquences de la pandémie, un camion de dépistage et une équipe de Médecins Sans Frontières (MSF) se déplacent dans l'un des bidonvilles les plus densément peuplés et pauvres d'Asie du Sud-Est, à Manille, pour traquer la tuberculose et tenter de limiter la propagation du virus.

Amalia, 42 ans, n'en parle pas pour ne pas être stigmatisée 

Assise devant l’étal de son magasin qui est aussi le petit appartement qu’elle partage avec dix membres de sa famille, Amalia, 42 ans, ne prononce pas le nom de cette maladie infectieuse dont elle a découvert qu’elle était atteinte en mai 2022. Dans cet immeuble du bidonville de Tondo, à Manille, la promiscuité est telle qu’on préfère ne pas prononcer son nom de peur d’effrayer ses voisins. Amalia vit à Smokey Mountain, un quartier tirant son nom de l’amoncellement de déchets, désormais fermé mais toujours présent, d’où se dégageait des fumées toxiques entre les années 1960 et 1990.

C’est non loin de cette colline qu’Amalia s’est rendue au camion de radiologie de Médecins Sans Frontières (MSF) près de chez elle au début du mois de mai 2022. Amalia indique aux équipes de MSF qu’elle a de la fièvre tous les après-midis mais que cela passe avec du paracétamol. Le radiologue effectue une radio de ses poumons, puis l’équipe recueille son crachat car elle suspecte une infection tuberculeuse à l’étude de la radiographie.

Quelques jours plus tard, le diagnostic est confirmé en laboratoire. Des infirmier·e·s et un thérapeute, contacte Amalia et se rendent chez elle pour lui annoncer le diagnostic et la rassurer sur la marche à suivre : elle peut guérir en suivant précautionneusement un traitement de six mois, gratuitement, dans son centre de santé. L’émotion la submerge à l’évocation de ce moment. « J'ai tout de suite pensé à ma mère, c’était la cause de sa mort. Je me suis dit : « peut-être que ça va me tuer aussi ».


La tuberculose tue au moins 1,5 million de personnes chaque année selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)[1]. C’était la maladie infectieuse la plus meurtrière au monde avant que la COVID-19 ne survienne, ce qui ne signifie pas que la tuberculose recule, bien au contraire. Durant la pandémie de COVID-19, le nombre de décès liés à la tuberculose est reparti à la hausse et le nombre de nouveaux cas de tuberculose a progressé pour la première fois depuis des décennies[2].

La bactérie de la tuberculose, le bacille de Koch, se propage dans l'air lorsqu'une personne infectée éternue, tousse ou parle. Elle peut être facilement transmise dans des lieux confinés et peut rester dans l'organisme pendant plusieurs mois ou années sans se déclarer.


Un confinement qui a fragilisé les habitant.es

Plus de 650 000 personnes vivent agglutinées dans Tondo, une zone d’environ 9 kilomètres carrés qui s'étale entre le port et le quartier d'affaires de Manille. C’est l'un des bidonvilles les plus densément peuplés au monde. Durant près de deux ans, des mesures anti-COVID 19 strictes se sont ajoutées à la promiscuité des habitations. Les Philippines ont connu l’un des confinements les plus longs au monde. Quartiers et habitations pouvaient se trouver complètement confinés avec interdiction de sortir plusieurs jours d’affilée. A Tondo, toutes les générations cohabitaient ensemble dans de toutes petites pièces mal ventilées. Les enfants sont restés chez eux durant deux ans et demi, les écoles étant fermées dans tout le pays. Beaucoup d’hommes, qui le plus souvent subvenaient aux besoins de leur famille, ne pouvaient plus travailler.

Pays classé quatrième au monde en termes d’incidence de la maladie en 2022

Trisha Thadhani, docteure philippine spécialiste de la tuberculose sur le projet de MSF, explique : « comme partout ailleurs, restrictions de circulation, inquiétude quant aux risques encourus en se rendant dans les établissements de santé, manque de personnel médical et fermeture de structures de soins ont entraîné une chute brutale du nombre de cas de tuberculose diagnostiqués et mis sous traitement ».

Combien de cas n’ont pu être détectés et soignés, et par conséquent combien de personnes ont été contaminées sans le savoir ? Comment éviter un retour en arrière dans la lutte contre la tuberculose aux Philippines, pays classé quatrième au monde en termes d’incidence de la maladie en 2022[3] ? A Tondo, MSF a lancé un projet de « recherche active des cas » de tuberculose en collaboration avec le Département de la Santé de Manille. Il s’agit de tester, tracer les cas contacts, rediriger les patient·e·s vers les centres de santé locaux et les encourager à commencer leur traitement afin de sauver des vies et rompre le plus possible les chaines de transmission.

Rendre le dépistage accessible et disponible  au plus près de la communauté

Depuis mai 2022, avec l’accord et le soutien préalables des autorités et de la communauté, une équipe mobile de MSF sillonne les barangays (quartiers) de Tondo avec un camion contenant un équipement radiologique. Il s’agit de rendre le dépistage accessible et disponible au plus près du lieu de vie et de travail de la communauté. Mais la seule présence de ce dispositif ne suffit pas pour inciter la population à se faire dépister.

Ruth Roxas, manager de l’activité de recherche active des cas pour MSF, raconte : « quand nous avons commencé les activités, peu de gens voulaient se faire dépister à cause d’idées reçues et de peurs autour de la tuberculose. Notre principal challenge est d'encourager les personnes à participer au dépistage même si elles se sentent en “bonne santé”. Il est courant d’entendre que la tuberculose ne touche que les personnes âgées ou déjà malades ». Parmi les craintes, celle de découvrir une potentielle infection et d’être rejeté par sa famille et ses voisins par peur d’être à leur tour infectés, ou celle de perdre son emploi. D’autre part, se soigner nécessite du temps, il faut se rendre au centre de santé régulièrement pour renouveler ses médicaments pendant six mois, et le transport jusqu’aux centres de santé peut être coûteux. « Souvent, la priorité, ça n’est pas la santé, c’est de gagner de quoi subvenir aux besoins de la famille », poursuit Ruth. Autant d’obstacles à la lutte contre la tuberculose qu’essaient de surmonter l‘équipe de promotion de la santé de MSF en lien avec les autorités locales.

Dès 8 heures du matin, les haut-parleurs des barangays annoncent haut et fort : « radio des poumons gratuite ! » Chaque jour, dans la bonne humeur, l’équipe, elle-même majoritairement originaire de Tondo, parcourent chacune des allées sinueuses du quartier pour encourager la communauté à se faire dépister, frappant à toutes les portes une par une. Elles mènent aussi des séances de sensibilisation afin de répondre aux idées reçues sur la maladie : il est possible de guérir de la tuberculose et se soigner, c’est réduire les risques de contamination au sein du foyer. Désormais, entre 400 et 450 personnes viennent se faire dépister dans le camion de MSF chaque semaine.

L'intelligence artificielle au service du diagnostic

Le dépistage d’un nombre aussi conséquent de personnes avec un seul appareil de radiographie et un radiologue ne serait possible sans le recours à un petit boitier noir innovant. Il contient un logiciel utilisant l’intelligence artificielle, le « diagnostic assisté par ordinateur ». Capable de reconnaitre très rapidement la tuberculose sur les radios pulmonaires, il facilite et accélère le processus de dépistage de manière significative.

Lors d’une suspicion de tuberculose après analyse d’une radiographie, le crachat du patient·e·s est recueilli puis envoyé aux laboratoires du Département de la Santé de Manille, où des machines appelées « GeneXpert » permettent d’aboutir à un diagnostic en quelques jours. S’ensuit un véritable travail de fourmi pour l’équipe de soutien aux patient·e·s de MSF, qui prend le relais pour accompagner les malades tout juste diagnostiqués positifs et chercher les cas contacts au sein du foyer. Retrouver ces personnes dans le dédale des minuscules allées de Tondo n’est pas tâche facile. Il faut souvent s’armer de patience. Traverser parfois plusieurs cahutes faites de tôle ondulée et de palettes de bois qui semblent miraculeusement tenir les unes sur les autres, entourées de chiens amaigris qui aboient sans discontinuer. Frapper à de nombreuses portes. Retourner sur ses pas. Parfois devoir revenir le lendemain.

C’est ainsi que les équipes de MSF ont encouragé Amalia à commencer son traitement dans son centre de santé et que les membres de sa famille vivant sous le même toit ont été invités à se faire dépister eux aussi. Ses petits-enfants ont été examinés et mis sous traitement préventif durant trois mois par le docteur de MSF avec l’accord de leurs parents.

« Les nourrissons et les jeunes enfants sont particulièrement sujets aux formes graves et mortelles de la maladie, indique le docteur Thadhani. En revanche, le diagnostic des enfants est plus complexe que chez les adultes, car il est difficile pour eux de produire les expectorations nécessaires aux analyses en laboratoire. S'ajoutent à cela des carences nutritionnelles dans les barangays de Tondo, rendant les enfants plus vulnérables encore. Protéger les enfants par des mesures de prévention en parallèle du traitement des adultes lors d’une suspicion de contamination est une priorité pour nous ». Nos équipes médicales proposent la mise sous traitement préventif des cas contacts après diagnostic clinique pour les enfants de moins de 5 ans et à la suite de tests cutanés pour les enfants de 5 à 14 ans.

Amalia est désormais guérie. Elle a ouvert sa petite épicerie depuis et peut à nouveau embrasser ses petits-enfants sans inquiétude. Le taux de cas de tuberculose confirmés parmi la population que nos équipes ont dépistée jusqu'à présent, soit plus de 6400 personnes au cours des dix derniers mois, est en moyenne de 5%. Ce chiffre élevé tend à confirmer notre hypothèse initiale d'une augmentation probable des cas de tuberculose suite à la pandémie de COVID-19.

Nos équipes continuent de traquer la tuberculose porte après porte, jour après jour. « C’est une goutte d’eau dans l’océan », lance le docteur Thadhani, mais elle garde espoir que la brèche laissée dans le sillage de la pandémie puisse être comblée par l’effort conjoint des acteurs de la lutte contre la tuberculose, à Tondo et ailleurs.


[1] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/tuberculosis

[2] https://www.who.int/fr/news/item/27-10-2022-tuberculosis-deaths-and-disease-increase-during-the-covid-19-pandemic

[3] https://www.who.int/teams/global-tuberculosis-programme/tb-reports/global-tuberculosis-report-2022