Nord-Kivu: les communautés déplacées perdent espoir alors que la crise perdure

Un enfant déplacé marche avec des tiges de mais sur la tête près des tribunes du stade de Rugabo

République démocratique du Congo (RDC)6 min

Plus de 190 000 personnes ont dû fuir leur domicile précipitamment dans les territoires de Rutshuru et Nyiragongo, dans la province du Nord-Kivu, suite à la résurgence du groupe armé M23 et aux affrontements intermittents qui l’opposent à l’armée congolaise depuis la fin du mois de mars 2022.

« On était toute la famille au champ en train de travailler quand il y a eu les tirs. On s’est enfuis et on a marché trois heures jusqu’à Rumangabo sous la pluie », raconte Ponsie Benda, 54 ans. Ce père de 13 enfants a trouvé refuge depuis le mois de juin à l’école primaire du Parc National des Virunga, à Rumangabo, lorsque les affrontements entre le groupe armé M23 et l’armée congolaise se sont rapprochés de son village. « On n'a même pas pu repasser à la maison. On est partis avec ce qu’on avait sur nous. 

190 000 personnes dans le besoin

C’est le long de la route nationale qui relie Rutshuru à Goma, la capitale du Nord-Kivu, que la plupart des personnes se sont rassemblées, souvent dans des sites surpeuplés. « Nous dormons dehors. J’ai construit cet abri avec des bâtons en bois. Je vais chercher des feuilles de bananier et d’eucalyptus pour le couvrir. Comme ça les enfants seront un peu abrités », explique Ponsie. Lorsqu’il est arrivé avec sa famille à Rumangabo, les salles de classe de l’école étaient déjà pleines et ils n’ont eu d’autre choix que de s’installer dehors, dans la cour.

Au stade de Rugabo à Rutshuru-centre, plus de 1 400 familles sont rassemblées. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés a construit des abris communautaires, mais malgré tout, les conditions restent extrêmement précaires : environ 35 familles partagent une tente de dix-huit mètres sur cinq. « Quand il pleut, l’eau inonde le sol dans les abris et on passe la nuit dans l’eau », décrit Agrippine N’Maganya, 53 ans, arrivée à Rutshuru avec six de ses dix enfants il y a plus de quatre mois. « Les autres doivent être en Ouganda aujourd’hui… Je n’ai aucune nouvelle d’eux depuis la fuite », s’inquiète-elle.  

« La promiscuité dans les sites de déplacés, combinée au manque de douches et latrines en suffisance, est un facteur majeur de risque en cas de propagation de maladies infectieuses, telles que la rougeole ou le choléra », souligne Bénédicte Lecoq, coordinatrice d'urgence pour Médecins Sans Frontières à Rutshuru. 

« Les gens ont le ventre vide »

Au manque d’abris, s’ajoute le manque de nourriture. « Nous n’avons rien à manger. Parfois, les gens de mon village que je connais me donnent un peu de nourriture qu’ils récupèrent dans les quartiers », explique Obed Mashabi, 20 ans, réfugié au stade de Rugabo depuis fin mars. Même son de cloche du côté de Ponsie : « On mange des feuilles bouillies du lundi au dimanche. Ma femme prend ça dans les champs des autres en demandant aux propriétaires. Il y a de l’entraide car les habitants savent dans quelle souffrance nous sommes. Ils partagent le peu qu’ils ont. »

Les gens que nous soignons ont le ventre vide. Sans une augmentation urgente des distributions alimentaires, la situation pourrait encore se dégrader.

Bénédicte Lecoq

À l’hôpital général de référence de Rutshuru, l’unité de prise en charge des enfants sévèrement malnutris, appuyée par MSF, ne désemplit pas depuis plusieurs semaines, avec un taux d’occupation des lits de 140%. 

Dans les structures de santé que les équipes MSF soutiennent dans les territoires de Rutshuru et Nyiragongo, la moyenne de consultations dépasse bien souvent une centaine par jour. Les trois principales maladies observées sont le paludisme, les infections respiratoires et la diarrhée.

« Vu l’ampleur des besoins, nos équipes ne peuvent pas être partout. Les structures de santé sont débordées et manquent cruellement de médicaments. Face à cette urgence, il est essentiel que plus d'acteurs se mobilisent pour que toute la population puisse bénéficier de soins gratuits », explique Bénédicte Lecoq.

Au-delà des besoins immédiats, les conséquences à long terme pour les communautés affectées sont aussi une source de préoccupation. Majoritairement dépendantes de l’agriculture, le manque d’accès à leurs champs pendant des semaines, voire des mois, pourrait exacerber l’insécurité alimentaire pour des milliers de personnes dans la région.

On a de la nourriture au village, dans les champs, mais on ne peut pas y retourner. La guerre continue là-bas. Tout doit être en train de pourrir.

Obed Mashabi, 20 ans, réfugié au stade de Rugabo

Une assistance humanitaire limitée

Alors que la crise dure déjà depuis plusieurs mois, Agrippine, Ponsie et Obed déplorent tous le manque d’assistance humanitaire reçue jusqu’à présent. « Je n’ai jamais reçu de distribution de nourriture, ni les bassines, ni les marmites, rien », témoigne Agrippine. « Personne n’est venu ici. Si nous avions reçu de l’aide, on ne resterait pas dehors comme ça », ajoute Ponsie.

Portrait d'Agrippine

Agrippine N’Maganya, 53 ans, arrivée à Rutshuru avec six de ses dix enfants il y a plus de quatre mois.

© Alexis Huguet

Pour Agrippine, plus les semaines passent, plus l’espoir de rentrer s’amenuise. « Je n’ai pas d’espoir de rentrer chez moi bientôt. Il n’y a aucune amélioration », dit-elle, lasse. Un découragement que partage aussi Ponsie : « Pourquoi il y a toujours la guerre au Nord-Kivu ? Ce n’est pas la première fois que nous fuyons. Je ne sais pas comment mes enfants pourront grandir dans la guerre. » 

La récente flambée de violence dans les territoires de Rutshuru et de Nyiragongo ne fait qu'aggraver une situation humanitaire déjà désastreuse avec environ 1,6 million de personnes déplacées et plus de 2,5 millions de personnes dans le besoin dans la province du Nord-Kivu en juin 2022.