Inde : Favoriser le changement et donner des moyens d'action aux personnes survivantes de violences sexuelles et sexistes

Fatima MSF

Inde587 min

Les violences sexuelles et sexistes sont un problème répandu dans le monde entier, et il en va de même en Inde. 30 % des femmes indiennes sont victimes de violences physiques ou sexuelles, mais seulement 2 % d'entre elles consultent un médecin. La stigmatisation et la honte associées aux violences sexuelles et sexistes dissuadent souvent les victimes de s'exprimer et de demander de l'aide. C'est là que le soutien de la collectivité joue un rôle crucial. Fatima, membre de la communauté et employée MSF témoigne.

L'histoire de Fatima, première femme conductrice d'e-rickshaw (autrement appelé pousse-pousse électrique) dans le quartier de Jahangirpuri, au nord-ouest de Delhi, est celle de la résilience et de l'espoir. Son sourire radieux nous surprend. Elle parle calmement, même lorsqu'elle décrit l'une des périodes les plus sombres de sa vie.

Après la mort de son mari en 2015, Fatima se retrouve sans revenus, sans économies et sans personne vers qui se tourner. Après avoir accepté quelques métiers d’appoint, Fatima décide finalement de conduire un e-rickshaw. Elle vend tout ce qui se trouve dans sa maison pour en acheter une d’occasion et commence à le conduire dans la communauté. Après avoir pris le coup de main, elle acquiert une certaine célébrité, en devenant la première femme à conduire un e-rickshaw dans le quartier de Jahangirpuri.

« Les petits enfants, les collégiens et les adultes me demandaient souvent de m'arrêter et de poser pour des photos. Ils me félicitaient d'avoir fait quelque chose qu'ils considéraient comme un travail d'homme », se réjouit Fatima.

Vaincre les violences sexuelles et sexistes pour favoriser le changement des mentalités et soutenir les survivant·e·s

Fatima arrive à la clinique à 8h30, puis fait le tour de la communauté pour récupérer et déposer les survivant·e·s de violences sexuelles et sexistes qui se rendent à la clinique MSF d'Umeed Ki Kiran afin de recevoir un traitement médical. Son travail consiste également à déposer des agents de santé communautaires dans la région.

Ayant survécu à des violences sexuelles et sexistes, elle éprouve une profonde empathie pour les patient·e·s qu'elle embarque et qu'elle dépose. Elle comprend leur parcours difficile et les émotions complexes qu'ils·elles ressentent. Le dévouement de Fatima à l'égard des survivant·e·s ne connaît pas de limites - elle est toujours prête à aller au-delà de son devoir.

Souvent, ces femmes et ces jeunes femmes ont exprimé leur désir d'apprendre à conduire un e-rickshaw comme moi et d'être financièrement indépendantes. Je vois une lueur d'espoir dans leurs yeux lorsqu'elles voient une femme les déposer et les recevoir.

« Une fois, j'accompagnais nos agents de santé communautaire à l'hôpital. Alors que je les attendais, j'ai vu une jeune fille, probablement âgée d'une vingtaine d'années, assise et pleurant inconsolablement. Je me suis approchée d'elle doucement. Elle s’est ouverte à moi et m'a parlé de son expérience, des violences sexuelles et sexistes qu’elle avait subies. Il était évident qu'il lui avait fallu beaucoup de courage pour partager cela avec moi, et j'ai donc veillé à l'écouter attentivement et à la soutenir autant que possible. Je l'ai lentement convaincue de se rendre à la clinique et de parler aux conseillers MSF. Au début, elle était hésitante, mais lorsque je lui ai parlé de mon propre parcours et que je lui ai montré ma carte d'identité MSF, elle a accepté.

Lorsque cette jeune fille est sortie de la clinique après avoir reçu des conseils, elle m'a serré fort dans ses bras, des larmes de bonheur aux yeux. Elle m'a énormément remerciée de lui avoir apporté l'aide dont elle avait besoin. J'ai encore la chair de poule quand je pense à elle ».

Étant elle-même issue de la communauté, Fatima sait qu'il est important de parler aux patient·e·s avec compassion pour ne pas déclencher de traumatisme secondaire. Elle sait instaurer un climat de confiance avec les survivant·e·s, ce qui est essentiel pour les faire passer en toute sécurité à l'étape suivante des soins. Sa façon de leur parler aide les survivant·e·s à nous faire confiance.

« J'appartiens à la même communauté qu'eux (patient·e·s et survivant·e·s) et j'éprouve une immense satisfaction à pouvoir les aider de quelque manière que ce soit. J'ai vécu le même traumatisme et j'ai été confrontée à une violence intense au cours de ma vie. Bien que vivant dans la même communauté, je me sens extrêmement chanceuse d'être de l'autre côté de la situation et de pouvoir les guider vers un soutien, vers de l’aide. »

« Dès qu'ils·elles s'assoient dans mon e-rickshaw, je leur dis « ki ki rona nahi hai, himmat rakhna hai aur aage badhna hai ». [Ne pleurez pas, ayez la foi, restez forts et concentrez-vous sur l'avenir et la guérison].

Fatima patientes Inde MSF

Fatima et des habitantes de la ville, en séance de sensibilisation.

© Sapna Rani/MSF

L'histoire de Fatima est une preuve vivante du fait que le soutien de la communauté peut changer la vie des survivant·e·s de violences sexuelles et sexistes et leur donner un nouveau départ dans la vie. Elle n'est pas seulement une chauffeur, mais plutôt un lien indispensable entre la communauté et les survivant·e·s de la violence sexuelle et sexiste, d'une part, et les prestataires de services de santé, d'autre part. Elle veille à ce que les survivant·e·s reçoivent des soins humains, non intrusifs et d'un grand soutien dès qu'ils montent dans son pousse-pousse.

Prévalence de la violence sexuelle et sexiste

Pour garantir des soins médicaux aux victimes dans les régions de Jahangirpuri et de Bhalswa, au nord-ouest de Delhi, MSF a créé une clinique en 2015. Umeed Ki Kiran est une clinique communautaire qui offre des soins médicaux et psychosociaux gratuits et confidentiels aux survivants. L'expérience de MSF sur le terrain montre que les groupes les plus vulnérables à la violence sexuelle et sexiste dans cette région sont les femmes, les enfants et les adolescents, les travailleurs du sexe (y compris les femmes transgenres), les personnes handicapées appartenant à des castes inférieures et les minorités religieuses.

Il est essentiel de comprendre que malgré la prévalence de la violence dans la société, les survivant·e·s sont souvent dissuadé·e·s de parler et de chercher de l'aide en raison de la normalisation de cette violence et de la stigmatisation et de la honte qui y sont associées. C'est précisément la raison pour laquelle il est extrêmement important d'impliquer et de responsabiliser des membres de la communauté comme Fatima pour que les victimes puissent accéder à l'aide et aux soins de santé dont elles ont besoin.