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Soigner les grands brûlés dans les camps de personnes déplacées en Syrie
Syrie 5 min
Avant qu’elle parte en fumée, la tente de Mohammed ressemblait aux milliers d’autres qui parsèment les terres agricoles détrempées par la pluie près de la frontière turco-syrienne. Recroquevillé·e·s sous des bâches en plastique humides, lui et sa famille buvaient du thé et se réchauffaient à l'aide d'un vieux chauffage en bois.
Comme beaucoup de camps dans la région, Anin Al Sahel se trouve dans une zone montagneuse reculée. Les services basiques (chauffage, soins de santé, etc.) manquent et les hivers sont brutaux. Les températures glaciales et les fortes pluies transforment le sol en boue, tandis que des rafales de vent froid s’abattent sur les tentes fragiles abritant des milliers de familles déplacées.
« Lorsque mes mains ont pris feu, je ne pouvais plus éteindre les flammes »
Lors d’une de ces journées d’hiver, Mohammed a tenté d’allumer leur poêle à bois avec du diesel – un combustible fréquemment utilisé dans le camp à cause de son prix accessible et de sa disponibilité. Alors qu’il versait le liquide sur le feu depuis un jerrycan, celui-ci a explosé.
« Il y avait à peine un demi-litre de diesel dans la bouteille lorsqu’elle a explosé. Les flammes se sont propagées sur tout mon corps : de mes pieds jusqu’à mes mains. Lorsque mes mains se sont enflammées, je n’étais plus en mesure d’éteindre les flammes. »
Mohammed se rappelle la panique qui l’a saisi lorsque les flammes ont rempli la tente en quelques secondes, ses proches se précipitant pour étouffer le feu avec des couvertures. Les bras et les mains bandés, il récupère dans l’hôpital d’Atmeh. Cette structure, gérée par Médecins Sans Frontières, est la seule spécialisée dans le traitement des brûlures dans la région.
Une histoire malheureusement banale
Ce qui est arrivé à Mohammed est tragiquement commun dans cette région de Syrie. En 2012 déjà, nos équipes ouvraient une unité pour les grands brûlés à Atmeh pour prendre en charge les nombreuses personnes déplacées souffrant de brûlures causées par des incendies ou de l’eau bouillante. Ces dernières années, cette structure a évolué en un hôpital chirurgical et de rééducation. En 2024, nos équipes ont traité 8 340 urgences liées à des brûlures, soit 23 patient·e·s par jour en moyenne.
Comme des millions de Syriens et Syriennes, Alia et sa famille ont fui la guerre civile et les bombardements et se sont installées dans le camp d’Al-Salata, à Khirbet Al-Jouz. Depuis la chute du régime Assad fin 2024, la famille n’a pas pu retourner chez elle : le village est couvert de mines et sa maison a été détruite.
Les gens vivant dans les camps manquent de tout. Même les services d’eau ont été coupé depuis la libération du pays. Nous en sommes à 13 années de froid, de faim et de souffrance.
Tout comme Mohammed, Alia a été brûlée en versant du diesel dans un poêle. Elle a passé deux semaines dans notre hôpital : elle y a subi plusieurs chirurgies et ses pansements sont changés quotidiennement. Mais elle vit toujours dans les mêmes conditions dangereuses qui ont causé ses blessures.
« J’ai trois enfants dont le père est âgé. Je ne sais pas comment je vais m’en sortir. Pas d’eau, aucune aide… la vie est devenue vraiment difficile dans les camps », raconte Alia.
Pour ne rien arranger, les coupes budgétaires américaines décrétées par l’administration Trump ont grandement réduit l’accès aux soins. Fin février 2025, 4.4 millions de personnes dans neufs gouvernorats syriens ont été affectées par ces coupes, qui ont mené à la fermeture de 150 structures de santé (lire ici). En outre, 178 structures de santé ont été impactées par les coupes américaines dans les gouvernorats d’Alep et d’Idlib, selon une récente évaluation.
Il y avait des centres de soins et des hôpitaux avant. Maintenant, c’est terminé. Même la maternité et l’hôpital pour enfants ont fermé après les coupes.
Vu le nombre restreint d’alternatives, l’hôpital MSF d’Atmeh assume un rôle vital. Nos équipes y réalisent des soins chirurgicaux, physio-thérapeutiques, de santé mentale et même des impressions 3D de masque faciaux aidant à la cicatrisation.
Un membre de notre personnel travaille sur un masque crée à l’aide d’une imprimante 3D. Ce masque aidera à la cicatrisation et à réduire les gonflements et améliorera la mobilité et la récupération du patient.
« Dans l’hôpital, les infirmiers et infirmières changent mes pansements. J’ai subi deux chirurgies : d’abord un débridement (procédure visant à retirer la peau endommagée et brûlée et les éléments étrangers d’une plaie) puis une greffe de peau », explique Mohammed. « Mais je vis dans la campagne proche de Jisr al-Shughur et le trajet jusqu’à l’hôpital est très long.
Un retour inenvisageable malgré la chute du régime d’Assad
Bien que le régime de Bachar Al-Assad soit tombé, rentrer à la maison n’est pas une option pour les personnes déplacées, comme Mohammed et Alia. Les mines non-explosées, la destruction des infrastructures et le manque de services basiques les forcent à rester dans les camps. Les coupes budgétaires du gouvernement des Etats-Unis aggravent une situation déjà désespérée.
« Tout ce que je désire, c’est que la vie revienne à la normale. Et que nos régions reçoivent à nouveau les services de base. Cela fait 13 ans que nous souffrons », conclut Mohammed.