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Réparer les corps et les esprits : MSF face à la violence dans l’est de la RDC
12 min
Ce nombre élevé de cas est probablement dû à une combinaison de facteurs – notamment les combats intenses entre l'armée congolaise (FARDC), l'Alliance Fleuve Congo (AFC)/M23 et leurs alliés respectifs dans les premiers mois de 2025, et le fait que les lignes de front se sont rapprochées des zones d’opération de MSF dans le Nord et le Sud Kivu.
« Je suis né dans la guerre. C’est tout ce que j’ai toujours connu », raconte Floribert*. Le jeune homme de 20 ans a reçu une balle dans la jambe. Il fait partie d’une douzaine de patients en convalescence après avoir été blessé par balle à l’hôpital général de Mweso, au Nord-Kivu, où Médecins Sans Frontières (MSF) intervient. « Je ne vois pas la paix arriver de sitôt. »
Les équipes de MSF continuent chaque jour de traiter un grand nombre de cas de blessures violentes au gré des offensives et des affrontements dans la région.
Les civils paient le prix fort
L’est de la RDC abrite plus d'une centaine de groupes armés, un chiffre qui atteint plusieurs centaines si on inclut les factions les plus petites. Cette région est aussi le théâtre de multiples conflits qui se chevauchent – chacun avec sa propre dynamique.
S'il n'existe pas une seule explication aux vagues successives de violences qui ont frappé la RDC en 2025, elles ont un point commun : ce sont les civils qui en paient le prix le plus élevé.
Des personnes vivant dans le camp de déplacés de Kashaka, à l’ouest de Goma, transportent des bidons d’eau.
Tout au long de l’année, les équipes MSF ont été témoins de combats récurrents, se retrouvant parfois, intentionnellement ou non, directement touchées. Les structures de santé que nous soutenons ont assisté à un flux continu de blessés et de victimes. Les patients témoignent d'une multitude de violences ; ils parlent de massacres, d’enlèvements violents, de coups et autres actes de violences sexuelles. Dans certains contextes, les civils sont délibérément pris pour cible ; dans d’autres, ils se retrouvent pris entre deux feux, souvent victimes de balles perdues.
Bien que les proportions varient d'une localité où travaille MSF à l’autre, les civils représentent généralement la majorité des admissions liées à la violence, allant jusqu’à 80% des patients s’identifiant comme tels à Mweso. Les blessures par balle restent parmi les plus courantes ; les attaques à l’arme blanche, les bombardements et la torture représentent également un nombre important de blessures.
Dans le projet désormais clôturé de Salamabila (province du Maniema), la plupart des 366 cas de traumatismes violents recensés au premier semestre 2025 étaient des personnes fouettées, souvent accusées de ne pas payer la “taxe” imposée par un groupe armé contrôlant une importante mine d'or dans la zone.
Récemment, nous avons soigné un homme qui a dû rester allongé sur le ventre pendant 10 jours à cause de la profondeur des plaies dans son dos.
Si les jeunes hommes représentent la majorité des blessés liés à la violence, les femmes et les enfants ne sont pas épargnés. Entre janvier et septembre 2025, la clinique de Salama à Bunia (Ituri) a accueilli 333 victimes de violence. Près d’un tiers étaient des femmes, et un patient sur sept était mineur – filles et garçons confondus.
Parmi eux se trouvait un enfant de neuf ans, blessé par balle à l’abdomen après avoir vu sa mère et ses frères et sœurs tués à coups de machette.
Violences sexuelles
Les violences commises par des hommes armés ne se limitent pas aux fusillades et aux intimidations. Trop souvent, elles prennent la forme de violences sexuelles, surtout à l’encontre des femmes.
Une jeune fille, survivante de violences sexuelles, après être montée sur une balance dans la tente de triage du centre de santé de Mugunga 3 à Goma.
Au premier semestre 2025, MSF a pris en charge près de 28 000 survivant.e.s dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, de l’Ituri et du Maniema, dont 97% étaient des femmes et filles, et 10% des mineurs.
Mona*, 35 ans, originaire de Minova (Sud-Kivu), figure parmi les survivantes prises en charge cette année. Entre deux longs soupirs, elle raconte : « Hier soir, vers 21 heures, je suis allée chez mon grand frère pour lui demander à manger et j’ai dîné chez lui. En revenant vers chez moi, sur la route, quatre hommes sont venus à ma rencontre, dont un homme armé. Ils m’ont pris mon pagne et m’ont bandé les yeux avec. L’un d’eux m’a attrapée par le cou et l’a serré très fort. Pendant ce temps-là, l’un d’eux m’a violée, puis le deuxième, puis le troisième : ils m’ont tous violée l’un après l’autre. Maintenant, le propriétaire de la maison que je loue veut que je parte, car il souhaite éviter les problèmes », explique-t-elle.
Les auteurs de ces violences sont généralement – mais pas exclusivement – des hommes armés opérant dans tous les camps des différents conflits qui se déroulent en RDC.
Si la guerre cessait ici, il y aurait beaucoup moins de violences sexuelles. Aujourd’hui, la plupart des viols sont commis par des hommes armés, souvent lorsque les femmes vont aux champs ou cherchent de la nourriture.
« La situation est alarmante : beaucoup de femmes agressées sexuellement restent cloîtrées chez elles, n’osent plus sortir, leurs enfants ont faim. Elles cessent toute activité, et certaines développent des problèmes de santé mentale. »
À ce jour, MSF reste l’une des rares organisations capables d’assurer un soutien médical et psychologique complet aux victimes de violences sexuelles dans l'est de la RDC. D’autres partenaires ont réduit ou cessé leurs activités en raison des coupes dans les financements internationaux consacrés à l'aide humanitaire et au développement.
Des cicatrices psychologiques
Au-delà des blessures physiques, la violence généralisée dans l’est de la RDC a des répercussions dévastatrices sur la santé mentale de la population.
À Mweso, entre deux et cinq personnes sont hospitalisées chaque semaine pour troubles mentaux.
Il est raisonnable de dire que le fait d’être victime de tirs, de déplacements forcés, de vols, d’agressions sexuelles – ou même simplement d’entendre des coups de feu régulièrement – affecte la santé mentale », explique le Dr Konstantinos Zoumparis, psychiatre MSF à l’hôpital. Comme beaucoup de personnes souffrent et vivent dans des conditions précaires et dangereuses, elles peinent parfois à exprimer leur peur et leur anxiété. Alors il arrive que celles-ci se manifestent par des accès soudains de colère, une dissociation ou une catatonie. Dans le premier cas, les patients fuient parfois leur domicile en criant et en courant dans la forêt, pris de panique. Dans le second, ils cessent de manger et de parler, et restent simplement là, le regard vide et sans réaction.
Le besoin de services de santé mentale dans l'est de la RDC se reflète dans le nombre considérable de consultations. Rien qu’à l’hôpital général de référence de Masisi, près de 2 000 consultations de santé mentale ont eu lieu entre janvier et juillet.
Bisgod Sifumungu, superviseur MSF, rend visite à des patients à l'hôpital général de référence de Mweso.
« En situation de conflit et de post-conflit, les activités de santé mentale sont essentielles pour soulager la souffrance de nos patients », confirme Charli Shako Omokoko, superviseure activités psychosociales et santé mentale MSF.
Mais malgré les thérapies et traitements, les causes profondes demeurent.
« Nous faisons notre maximum pour aider les patients, mais à leur sortie, ils retournent dans un contexte d’insécurité, souvent sans nourriture ni logement », précise-t-elle.
Des hôpitaux sous le feu
La violence armée touche aussi régulièrement les structures de santé où travaille MSF, avec des conséquences directes sur le personnel et les patients.
Au cours des premiers mois de l'année, plusieurs civils ont été blessés ou tués devant l’hôpital général de Masisi, au cours d'affrontements armés pour le contrôle de la ville. Le personnel MSF de l'hôpital et de la base n'a pas été épargné : certains ont été blessés, et un employé de l'organisation est mort tragiquement d’une balle perdue à la base MSF. Quelques semaines plus tard, un second employé MSF a été tué par un homme armé, cette fois à son domicile. Au total, trois employés MSF ont été tués en 2025 au Nord-Kivu.
En octobre, deux centres de santé soutenus par MSF ont été touchés par des balles perdues dans les territoires de Masisi et de Rutshuru au cours de la même semaine – et d’autres structures de santé dans le pays n’ont pas été épargnées non plus.
Depuis le début de l’année 2025, les équipes de MSF à travers l’est de la RDC, de Tshopo au Sud-Kivu, ont été confrontées à de nombreux incidents de sécurité. Des combattants issus de plusieurs groupes armés, dont les forces armées congolaises (FARDC) et leurs alliés Wazalendo ainsi que l’Alliance Fleuve Congo (AFC)/M23, ont violé le droit international humanitaire en pénétrant et en ouvrant le feu dans des structures de santé, en menaçant et même en agressant des soignants et des patients.
En avril 2025, ces incidents ont notamment causé un mort et plusieurs blessés à l'hôpital de Kyeshero, à Goma. À Walikale, des véhicules et la base de MSF ont été endommagés ; des coups de feu ont été signalés à l'intérieur de l'hôpital d'Uvira ; des ambulances ont été bloquées alors qu'elles tentaient de se rendre dans des centres de santé ; et les locaux de MSF ont été cambriolés par des bandits armés, tout récemment, dans la ville de Kisangani (Tshopo).
La violence armée, un obstacle aux soins
Des années d’affrontements armés, associées à un sous-investissement chronique ont gravement perturbé l’accès aux soins de santé dans l’est de la RDC.
En 2025, et ce n'est pas la première fois, de nombreux établissements de santé ont été pillés dans un contexte d’insécurité persistante. Nombre de professionnels de santé ont été chassés des zones de conflit par la violence. Le personnel médical est souvent dans l'impossibilité d'atteindre les patients en raison des combats incessants, et vice versa.
« Beaucoup de patients n’atteignent l’hôpital que plusieurs jours après avoir été blessés, souvent dans un état critique, ce qui diminue leurs chances de survie », indique le Dr Bassirou Amani, responsable MSF à l’hôpital de référence de Rutshuru , le seul établissement de ce territoire comptant près d'un million d'habitants dont le personnel est équipé et formé pour pratiquer la chirurgie traumatologique.
La bétadine est utilisée pour nettoyer les instruments chirurgicaux à l'hôpital général de référence de Rutshuru, le seul établissement de santé doté de capacités chirurgicales dans tout le territoire.
Au-delà des difficultés d’accès et de l’affaiblissement du système de santé publique, l’insécurité a entravé les campagnes de vaccination, provoqué des déplacements massifs et aggravé la malnutrition.
Ces dernières années, la dynamique du conflit dans l’est de la RDC a évolué : le récent bombardement de Bibwe par avion en septembre, et l’utilisation accrue de drones au Nord-Kivu et au Sud-Kivu laissent craindre de nouvelles pertes humaines et destructions.
« L’ampleur de la violence dans l’est de la RDC continue d'affaiblir un système de santé déjà fragilisé par des années d’insécurité et de sous-investissements », affirme Emmanuel Lampaert, représentant pays MSF. « C’est une tragédie pour les individus – les blessés, les morts, les victimes de viols et leurs familles – et pour les communautés entières qui sont constamment sur les routes, dans l'incapacité d'accéder aux services de santé, à la nourriture ou aux autres besoins vitaux. »
« MSF reste déterminée à venir en aide avec impartialité aux populations affectées de tout côté des différentes lignes de fronts de l’est de la RDC. Mais les guerres ont des règles, et nous appelons tous les groupes armés à respecter le droit international humanitaire, en particulier en ce qui concerne la protection des civils et des structures de santé, et à garantir le passage en toute sécurité du personnel médical et des fournitures médicales. »
* Les noms ont été changés pour protéger les patients et le personnel