Brésil: l'épidémie catastrophique de Covid-19 touche les communautés les plus négligées

Prise de la température d’une patiente dans le centre d’isolement de Manaus. Manaus, Brésil, 3 juin 2020

Covid-1914 min

Au Brésil, chaque jour, entre 15000 et 30000 personnes sont diagnostiquées avec le Covid-19 et des centaines de personnes en meurent. C’est le deuxième pays le plus touchés en termes de nombre de cas et de décès au monde, avec plus de 900000 cas et 45000 décès enregistrés par l'Organisation mondiale de la Santé. Les professionnels de santé meurent du Covid-19 à un rythme plus élevé que dans tout autre pays: près de 100 infirmier.ère.s succombent des suites de la maladie chaque mois.

L'épidémie s'est propagée dans tout le pays, des grandes villes, comme Rio et São Paulo, aux régions reculées, comme l'État d'Amazonas. Elle menace les communautés les plus vulnérables et les plus négligées, notamment celles qui vivent dans les bidonvilles et les favelas, les sans-abris et les communautés indigènes.

MSF a lancé six interventions d'urgence en lien avec le Covid-19 dans les États d'Amazonas et de Roraima - tous deux dans la grande région de l'Amazonie - à Rio de Janeiro et à São Paulo, mais est en train d'atteindre sa capacité maximale. Une réponse plus ciblée est nécessaire de la part du gouvernement central, qui doit apporter un soutien plus important aux dirigeants communautaires, aux organisations locales et au personnel en première ligne face à l'épidémie. Les groupes locaux et le personnel de santé ont besoin d'une assistance directe et d'outils essentiels, que ce soutien vienne du Brésil ou d'autres pays.

Ce n'est pas une coïncidence si le Brésil souffre de manière si aiguë.

Ana de Lemos, directrice exécutive de MSF Brésil

« Nous savons depuis longtemps que le Brésil est un pays où les inégalités sont énormes, mais le Covid-19 met en évidence un système de santé en proie à des inégalités structurelles et à l'exclusion des soins pour un grand nombre de personnes pauvres ou sans abri » explique Ana de Lemos, directrice exécutive de MSF Brésil. « C’est d’autant plus flagrant pour des régions comme l'Amazonie, privée d'investissements adéquats en matière de santé pendant des décennies. Nous avons vu des efforts extraordinaires déployés au niveau de l'État ou au niveau local pour faire face à la pandémie, mais nous constatons également un énorme déséquilibre dans les lignes directrices, les politiques et l'approche générale entre le gouvernement central et les régions. »

La capacité du Brésil à répondre à l'épidémie de Covid-19 est mise à rude épreuve. Les tests ne sont pas déployés assez rapidement. Le Brésil a fait état de 7 500 tests par million d’habitants, soit presque 10 fois moins que les États-Unis (qui ont fait état de 74 927 tests par million). Le gouvernement central doit renforcer sa réponse pour éviter que l'épidémie ne s'aggrave encore.

Centre d’isolement de Manaus, hamac, soignant, patient

Les indigènes Warao, qui sont nombreux à vivre dans des abris en ville, sont particulièrement vulnérables à la maladie en raison de la difficulté à maintenir des mesures d'hygiène et de distanciation sociale adéquates. Manaus, Brésil, 3 juin 2020

© Euzivaldo Queiroz/MSF

Aider les communautés en Amazonie

Face au Covid-19, l'État d'Amazonas a le taux de mortalité le plus élevé du Brésil. La région amazonienne du Brésil est vaste et peu peuplée, principalement par des communautés indigènes. La région a souffert de l'exploitation minière, de la déforestation et de l'agriculture pendant des années, ainsi que d’un sous-investissement chronique dans les soins de santé. Lorsque que le Covid-19 s'est répandu dans la région à partir des grandes villes, le système de santé n'a tout simplement pas pu faire face.

À Manaus, la capitale de l'État, la situation dans les hôpitaux a été dévastatrice. « Le Covid-19 évolue rapidement, et parfois de manière imprévisible », explique Brice de le Vingne, coordinateur MSF des programmes d'intervention pour le Covid-19. « Nous avons déplacé notre attention des villes côtières vers la grande ville amazonienne de Manaus lorsque des rapports faisant état d'un nombre élevé de cas et de fosses communes ont commencé à apparaître. À ce moment-là, la situation était déjà catastrophique et, avec une petite équipe, nous avons dû rapidement identifier les endroits où nous pouvions le mieux apporter notre aide. »

Au début de l'épidémie, les hôpitaux de Manaus étaient débordés. Il n'y avait pas assez de lits ni de personnel dans les unités de soins intensifs (USI) pour traiter le grand nombre de personnes présentant des symptômes très graves et nécessitant un traitement intensif sous oxygène. Pendant plusieurs semaines, des centaines de personnes ont attendu qu'un lit aux soins intensifs se libère alors que leur état se détériorait. « Les quatre principaux hôpitaux de Manaus étaient tous pleins et les équipes médicales s'occupaient de patients extrêmement malades, qui arrivaient souvent trop tard pour être sauvés », déclare le Dr Bart Janssens, coordinateur des urgences pour MSF.

Un pourcentage élevé des patients [admis] dans l'unité de soins intensifs est mort, et [de nombreux] médecins sont tombés malades. 

Dr Bart Janssens, coordinateur des urgences pour MSF.

Pour aider à soulager la pression sur les hôpitaux, l'équipe MSF a ouvert une unité de traitement Covid-19 de 48 lits avec une unité de soins intensifs et un service pour les patients présentant des symptômes graves dans l'hôpital 28 de Agosto, afin de compléter la capacité d’hospitalisation existante. MSF a fait appel à du personnel spécialisé dans les soins intensifs, dont certains avaient déjà traité des patients atteints du Covid-19 dans d'autres pays et a mis en place de nouveaux protocoles de traitement non invasif à l'oxygène, offrant un espace plus sûr pour améliorer les soins cliniques. Depuis le début des activités médicales le 28 mai, les services offerts par MSF ont atteint ou dépassé leur capacité de 80%. Bien qu'il soit encore trop tôt pour tirer des conclusions, certains signes indiquent qu'un nombre croissant de patients sont en voie de guérison, même ceux présentant des symptômes très graves.

Manaus est une ville très fréquentée de plus de deux millions d'habitants, ce qui rend la distanciation sociale difficile. Les marchés comptent de nombreux commerçants venant de l'extérieur de la ville, ce qui augmente les probabilités que le virus se transmette. Manaus compte une population d'environ 30 000 membres issus de communautés indigènes représentant 30 ethnies différentes et parlant 20 langues. Ils sont souvent négligés par le système de soins de santé et ont été négligés dans la plupart des plans d'intervention Covid-19.

Une équipe en charge de la promotion de la santé pour MSF travaille avec des organisations locales et des chefs communautaires pour leur fournir des conseils sur la manière de se protéger contre le Covid-19 et de procéder à un dépistage actif des potentiels patients.

En partenariat avec la municipalité, MSF gère également un centre médical pour les patients de la communauté indigène Warao présentant des symptômes légers du Covid-19. Les Warao vivent dans des abris à Manaus depuis plusieurs années, après avoir émigré du Venezuela au Brésil à la recherche d'opportunités économiques.

Certains signes indiquent que le pic de transmission est peut-être passé à Manaus, mais la situation reste critique. Il y a un besoin énorme de soutien psychosocial pour le personnel médical qui luttait pour faire face au pic de l'épidémie.

Centre d’isolement de Manaus, hamac, soignant, patient

Le centre d'isolement ouvert à Manaus a la capacité de soutenir et d'aider neuf familles simultanément. Manaus, Brésil, 3 juin 2020

© Euzivaldo Queiroz/MSF

Déplacement du pic de l'épidémie vers les zones rurales

Le pic de l'épidémie s'est déplacé plus loin dans l'Amazonie rurale, où le nombre de cas est en augmentation. Les communautés indigènes sont extrêmement vulnérables à cette maladie, elles ont un accès restreint aux équipements de protection individuelle et très peu d'options en matière de soins de santé. Elles doivent souvent parcourir de longues distances pour se rendre dans les hôpitaux ou cliniques régionaux, ce qui comporte le risque supplémentaire de transmettre le virus dans des transports publics bondés.

Un jour et demi de bateau sont nécessaire depuis Manaus pour rejoindre Tefe, une ville portuaire prospère située sur les rives du fleuve Amazone. Lorsque l'équipe MSF est arrivée, elle a été choquée par la situation. « Lorsque je me suis rendu sur place pour évaluer la situation, l'équipe de gestion de l'hôpital me disait que presque 100% de ses patients Covid-19 nécessitant des soins intensifs étaient morts », explique le Dr Janssens. « Ils n'avaient pas assez de personnel spécialisé pour s'occuper des patients très malades qui arrivaient à leur porte. »

Alors que MSF planifie comment s'engager de manière efficace et responsable auprès des communautés isolées de l'Amazonie rurale, une première réponse d'urgence a été lancée pour fournir des soins modérés et intensifs à Tefe et São Gabriel da Cachoeira. L'hôpital de Tefe a demandé l'aide de MSF, qui gère l'unité de soins intensifs - où un grand nombre de patients Covid-19 sont en train de mourir - et fournit également des soins médicaux dans six centres de santé périphériques. MSF espère ainsi que les communautés indigènes ne soient plus obligées de faire le long voyage jusqu'à Manaus afin de se faire soigner.

À São Gabriel da Cachoeira, une ville située plus au nord sur le fleuve Amazone, MSF ouvrira un centre de traitement pour compléter les capacités de l'hôpital en matière de Covid-19 et s'associera à une organisation locale pour diffuser des messages d'éducation sanitaire à la communauté.

Le taux de nouvelles infections le plus élevé du pays

Boa Vista, la capitale de l'État de Roraima, a actuellement le taux de nouvelles infections le plus élevé du pays - plus d'un quart des résidents ont été infectés par la maladie.

MSF a élargi son projet pour les migrants et les réfugiés vénézuéliens à Roraima pour y inclure la préparation face au Covid-19 et la promotion de la santé. L'hôpital public est complètement débordé : les patients sont soignés dans les couloirs ou renvoyés sans traitement, car l'hôpital est plein. Un nouvel hôpital de campagne de 700 lits a été mis en place pour répondre à l'épidémie. MSF soutient l'hôpital en donnant des formations dans l'unité de soins intensifs.

« Nous sommes actuellement dans une phase aiguë de la crise à Boa Vista », explique Michael Parker, coordinateur MSF du projet Roraima. « MSF a réagi en augmentant son travail médical au-delà du soutien aux réfugiés - en fournissant des médecins et des infirmières pour un hôpital de campagne et en prenant en charge la formation et la supervision des cas graves en ce moment très critique. »

Les communautés négligées de Rio de Janeiro et de São Paulo

Le Covid-19 serait arrivé au Brésil par l'intermédiaire de communautés plus riches ayant voyagé à l'étranger puis revenues dans les grandes villes, comme Rio de Janeiro et São Paulo. Pendant plusieurs semaines, la propagation a été limitée aux régions les plus riches. Mais la transmission s'est progressivement étendue aux quartiers les plus pauvres et a eu des effets dévastateurs. Les sans-abris, les toxicomanes, les personnes âgées dans les maisons de retraite et les personnes vivant dans les favelas et les zones résidentielles informelles se heurtaient déjà à des obstacles pour accéder aux soins de santé. L’épidémie a rendu la situation encore plus grave, mettant ces communautés en danger de mort avec peu de possibilités d'assistance.

« Comme dans de nombreux pays, la pandémie a entraîné la perte de nombreux emplois », explique le Dr Ana Leticia Nery, coordinatrice MSF à São Paulo. « Mais à São Paulo, il y avait déjà 24 000 personnes sans abri. Le système de santé ayant atteint ses limites, les obstacles empêchant ces populations extrêmement vulnérables d'accéder aux soins de santé au Brésil se sont encore empirés. La pandémie a plongé davantage de personnes dans l'extrême pauvreté, les laissant sans abri. La consommation de drogues, la toxicomanie et les problèmes médicaux sous-jacents tels que la tuberculose, les maladies cardiaques et le VIH augmentent leur vulnérabilité. Voir des personnes qui souffrent et qui ont des difficultés à accéder au système de santé standard est déchirant, mais il y a des choses que nous pouvons faire pour aider ces personnes à avoir accès au même traitement que tout autre citoyen. »

À São Paulo, les équipes MSF aident les sans-abris dans les rues des quartiers du centre-ville ainsi que les personnes vivant dans les bidonvilles, où la disparité entre la richesse et la pauvreté est frappante. En partenariat avec des organisations locales et la municipalité de São Paulo, MSF mène des activités médicales dans deux centres d'isolement pour les sans-abris testés positifs au Covid-19 et qui présentent des symptômes légers ou modérés. MSF gère également un programme d'éducation et d'assistance en matière de santé pour les personnes dépendantes à l'alcool et la drogue.

À Rio de Janeiro, les équipes ont formé des centres de santé et des hôpitaux à la prévention et au contrôle des infections, et ont dispensé une éducation sanitaire dans les restaurants de la municipalité. Elles surveillent activement les personnes qui présentent les symptômes du Covid-19. Dans les favelas, MSF a constaté que les capacités sanitaires, déjà fortement sollicitées, atteignent leur point de rupture - plusieurs centres de santé ont dû fermer. Les conditions de vie rendent la distanciation sociale presque impossible, de sorte que le risque de propagation du virus est élevé.

MSF entreprend une série d'activités en promotion de la santé, de dépistage et de diagnostic dans la plupart de ses projets et fournit des conseils techniques sur la prévention et le contrôle des infections aux établissements médicaux et aux maisons de soins. Les équipes MSF renforcent également le soutien psychosocial au personnel médical qui a subi un traumatisme lié au taux de mortalité élevé et à la manière douloureuse dont de nombreuses personnes meurent de la maladie. Une équipe étudie également la possibilité d'ouvrir une unité de soins palliatifs à São Paulo, afin de fournir des soins de fin de vie dignes aux patients en phase critique qui sont trop malades pour être soignés dans d'autres hôpitaux.

MSF continue de chercher des moyens d'étendre ses activités avec les autorités sanitaires locales, mais atteint les limites de ses capacités. Des efforts nationaux plus concertés sont nécessaires pour maîtriser l'épidémie.