«Les sentiments de solitude et de culpabilité que suscite la pandémie doivent absolument être pris en charge»

Une promotrice de la santé reçoit une famille lors de sa visite au centre Covid-19 de Matamoros. Tamaulipas, Mexique. 20.07.2020

Mexique5 min

Les deuils causés par le Covid-19 sont l'une des priorités des équipes en santé mentale de Médecins Sans Frontières (MSF) dans la province de Tamaulipas, au Mexique comme au Guatemala. Lourdes Trigueros, référente médicale du projet au Guatemala, explique les défis posés par la quarantaine et l'isolement qui ont conduit son équipe à inventer de nouvelles façons de traiter les patients.

Le deuil est un processus auquel toute personne doit faire face lorsqu'elle perd quelqu'un, surtout un être cher. C'est un processus douloureux et difficile,  qui nous aide à nous rétablir et à trouver un nouveau sens à notre vie. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, le monde entier est endeuillé, comme jamais auparavant. D’un jour à l’autre, le monde a changé et nous avons tous perdu notre mode de vie habituel. Beaucoup d'entre nous ont vu mourir des êtres chers. C'est sans compter les millions de personnes qui n'ont pas pu s'isoler de la maladie ainsi que les politiques que beaucoup de gouvernements appliquent pour tenter de contenir le virus et qui ont touché des milliers de migrants et de demandeurs d'asile dans le monde. 

Le deuil, douloureux mais nécessaire

Le principal objet du deuil est de nous rendre plus résilients. Nous sommes plein de ressources et nous avons la capacité de tirer les leçons des moments difficiles et des pertes que nous vivons. Le sens que nous trouvons à notre vie après un deuil nous rend plus forts. Alors que la pandémie se poursuit, les êtres chers sont séparés de manière inattendue et les réseaux de soutien en sont affectés. Beaucoup de personnes décèdent. Les proches meurent soudainement à la maison ou seuls à l’hôpital. Ces situations rendent le processus de deuil beaucoup plus difficile à gérer. Il est essentiel que la personne qui décède puisse être avec sa famille, tant pour elle que pour ses proches.

La distanciation sociale, la quarantaine et les restrictions de voyage nous interdisent de nous rapprocher physiquement les uns des autres, de nous serrer dans les bras et autres manifestations physiques d'affection. Elles nous empêchent de mener les rituels traditionnels si nécessaires en période de deuil.

Les processus de deuil sont vécus à différents niveaux. Ils nous laissent avec d'énormes défis au niveau personnel et collectif. En tant que communauté, nous avons la responsabilité de prendre soin de nous-mêmes d'une nouvelle manière, d'aller de l'avant et d'envisager un avenir meilleur pour les personnes vivant dans la précarité et l'instabilité pendant cette crise. Nous devons réimaginer les moyens de nous soigner pour renforcer encore nos liens familiaux et communautaires malgré la distance et les difficultés auxquelles nous sommes actuellement confrontés.

Une médecin de MSF informe la famille d’un patient de l’état de celui-ci au centre Covid-19 de Matamoros. Tamaulipas, Mexique. 20.07.2020

Une médecin de MSF informe la famille d’un patient de l’état de celui-ci au centre Covid-19 de Matamoros. Tamaulipas, Mexique. 20.07.2020

© MSF/Cesar Delgado

Les conséquences de la distanciation sociale

Maintenir la distance sociale est vital pour nous permettre de surmonter cette pandémie. Cependant, cela laisse aux personnes qui pleurent la perte d'un être cher des émotions incessantes, qui ne peuvent être exprimées de la bonne manière ou au bon moment. Ils luttent avec des sentiments de solitude et de culpabilité qui peuvent avoir de graves conséquences et doivent être pris en compte.

Pour l'équipe médicale de MSF au Guatemala et au Mexique, les sentiments de solitude et de deuil causés par le Covid-19 sont une préoccupation constante. Les défis posés par l'isolement nous ont motivés à trouver de nouvelles formes de traitement. Par exemple, l'un des obstacles que nous rencontrons maintenant dans la prise en charge psychologique est la nécessité de parler avec nos patients au téléphone plutôt qu'en personne. La confiance entre le psychologue et le patient doit s'établir grâce à notre communication verbale et à des consultations régulières. Nos outils sont maintenant le timbre de leur voix, les silences qu'ils laissent et les mots qu’ils utilisent et que nous utilisons. Il nous reste donc à aiguiser notre sensibilité et à trouver de nouvelles façons de dispenser la thérapie.

Les psychologues et les professionnels de santé vont devoir travailler sur la résilience des patients. Ils devront rechercher de nouveaux outils, aux niveaux individuel, familial et communautaire, afin que le suivi puisse être effectué de manière naturelle et que les patients puissent continuer à mener une vie qui leur apporte bien-être et sérénité.

Les impacts sur le personnel soignant

Les effets de la pandémie sur le personnel médical sont parfois les plus délétères et moins visibles. La peur constante d'attraper le virus ou d'infecter un proche, la terrible stigmatisation dont beaucoup font l'objet et le manque d'équipement de protection individuelle les ont amenés à s'isoler émotionnellement. Ils se sentent impuissants et frustrés.

En tant que personnels de santé, nous avons besoin de matériel et d’outils qui nous permettront de prendre soin de nous-mêmes et des autres. Nous pouvons être en contact avec nos proches via le téléphone, nous pouvons avoir besoin de nous concentrer pleinement sur nos activités quotidiennes et avoir une bonne dynamique avec notre équipe et notre famille.

Je recommande de prendre des forces afin de pouvoir continuer, de trouver des idées ensemble et de proposer des actions qui peuvent apporter soulagement et espoir à nos patients, tout en nous donnant de l'espace et du temps pour prendre soin de soi et créer des réseaux de soutien sur nos lieux de travail.

On ignore encore toutes les conséquences du Covid-19 sur la santé mentale mais ce qui est certain, c'est que la façon dont nous prenons soin de nous-mêmes et des autres, et dont nous communiquons, a changé. Au cours des derniers mois, nous avons pris de plus en plus conscience des effets, individuels et collectifs, de notre travail sur notre planète. La possibilité d'un avenir meilleur est entre nos mains.