Myanmar: espoir, solidarité et chagrin en pleine crise

La clinique MSF à Thaketa vue de l'extérieur

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Francesca Quinto est cheffe de mission pour MSF au Myanmar. Le 1er février, elle se réveille sous le choc, comme des millions de personnes, en apprenant que l’armée avait déclaré l’état d’urgence et s’était emparée du pouvoir, se substituant aux dirigeants civils du pays. Deux mois après le choc initial, elle témoigne de son sentiment d’impuissance l’escalade des violences et des défis qui attendent MSF dans ces circonstances si particulières.

Ce matin-là, le 1er février, alors que nous avancions dans les rues sinistrement calmes de Rangoun, le chauffeur de taxi me posa une question qui allait devenir un défi majeur, pour moi et beaucoup d’autres, dans les jours qui allaient suivre : « La communauté internationale va-t-elle nous venir en aide ? ».

Alors que la répression violente contre les manifestants continue de briser des vies, alors que des professionnels de santé et bien d’autres sont menacés, alors que des rêves et des aspirations partent en fumée, cette question devient terriblement urgente.

J’ai vu beaucoup de mes collègues Birmans, habituellement calmes et posés, aussi submergés par le chagrin que farouchement déterminés à se mobiliser aux côtés de leurs compatriotes. Alors que beaucoup pleuraient la perte soudaine de leurs perspectives d’avenir, de mon côté je craignais pour la sécurité de nos équipes et m’inquiétais des interruptions des traitements en cours pour beaucoup de nos patients

Un difficile exercice de neutralité

En tant qu’humanitaire, j’ai été formée pendant des années à éviter les écueils traîtres de la politique en considérant chaque question sous l’angle impartial de l’urgence sanitaire. Nous fondons nos actions sur les besoins que nous identifions, en négociant avec quiconque régit l’accès aux personnes auxquelles nous voulons porter assistance. 

Au Myanmar aujourd’hui, la population réclame bien plus que nous, humanitaires, ne pouvons leur offrir – liberté, justice et sécurité. J’ai reçu des messages alarmistes de mes collègues, certains me disant qu’ils ne se sentaient pas en sécurité, d’autres qu’ils se sentaient vulnérables et menacés. Ils attendaient de nous que nous prenions parti, que nous condamnions sans équivoque les actes de l’armée. 

En tant qu’humanitaire revendiquant le principe de neutralité, je me suis retrouvée face aux limites de notre action. J’ai baissé la tête, leur ai exprimé mon soutien, et me suis remise à développer des stratégies pour subvenir aux besoins médicaux d’urgence avec les moyens à notre disposition.

Le paradoxe de l’aide humanitaire 

Pendant ce temps, un mouvement de désobéissance civile continuait de rallier des soutiens. Alors que je pensais que subvenir aux besoins sanitaires relevait de notre responsabilité, certains interprétaient cela comme du soutien à un système qui avait, aux yeux de ce mouvement, perdu toute légitimité. Cela était même perçu comme une trahison envers leurs communautés, qui avaient fait vœu de non-coopération.

Nous avons l’habitude de fournir des soins de santé vitaux dans les situations les plus critiques. Mais cet engagement a été vu par certains comme l’expression d’une indifférence face à leur détresse.

La crainte d’un retour en arrière 

Alors même que je mobilise mon organisation pour aider les communautés à prendre en charge les blessés, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter de l’impact considérable qu’une instabilité prolongée aura sur le Myanmar.

Dans les provinces, les administrations deviennent de plus en plus des lieux de lutte de pouvoir où militaires et civils tentent de s’affirmer comme détenteurs légitimes de l’autorité.

Pour des organisations comme la mienne, qui ont soutenu les autorités sanitaires du Myanmar dans l’expansion du traitement pour le VIH ces dernières années, l’hépatite C et la tuberculose, entre autres, l’impasse actuelle implique des semaines et mois d’incertitude. Nous n’avons plus d’homologues avec lesquelles collaborer pour subvenir aux besoins en santé que nous aurions autrement couverts en partenariat avec les autorités sanitaires. 

Les conséquences économiques de la pandémie avaient déjà mis à mal les capacités du Myanmar à étendre ses services sanitaires. À présent, alors que l’économie du pays est en chute libre suite à la prise de pouvoir par l’armée, la pauvreté va probablement s’envoler, augmentant de façon exponentielle le besoin d’assistance internationale pour la population. 

Finalement, je n’ai pas pu fournir de réponse réellement satisfaisante à ce chauffeur de taxi. Le moins que nous puissions faire est de continuer de nous tenir aux côtés de nos collègues et nos patients en cette période éprouvante, en gardant pour objectif de préserver la santé des personnes les plus vulnérables.
 

- Francesca Quinto, cheffe de mission pour MSF Suisse, au Myanmar -