Journée internationale du droit des femmes: les patientes maîtresses de leur santé

3 points de femmes levés vers le ciel

République démocratique du Congo (RDC)14 min

Nous souhaitons tous investir dans notre bien-être: pouvoir prendre soin de notre santé mentale, physique et émotionnelle. Mais sans informations fiables ni outils adaptés, sans options raisonnables ni soutien adéquat, ce n’est pas toujours possible. L’auto-prise en charge bouleverse peu à peu les soins de santé, en donnant les moyens nécessaires aux patients de jouer un rôle central dans leur propre santé.

Pour les femmes, elle peut contribuer à une plus grande autonomie dans leurs prises de décisions médicales. C’est pourquoi, à l’occasion de cette Journée internationale des droits des femmes, nous souhaitons vous présenter les bienfaits de l’auto-prise en charge pour la santé et l’autonomisation des femmes et des jeunes filles dans les pays en crise, mais aussi dans le reste du monde.

Qu’est-ce que l’auto-prise en charge ?

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit l’auto-prise en charge comme « la capacité des personnes, des familles et des communautés à promouvoir la santé, à prévenir les maladies, à rester en bonne santé et à vivre avec la maladie et le handicap, avec ou sans le soutien d’un agent de santé ». 

En tant qu’organisation médicale et humanitaire, MSF a décidé d’adopter l’auto-prise en charge dans le cadre d’une approche centrée sur le patient en apportant aux personnes les connaissances et les compétences nécessaires pour effectuer une auto-prise en charge en toute sécurité tout en maintenant l’accès aux services de santé traditionnels en cas de besoin ou s’ils le souhaitent.

L’auto-prise en charge comprend :

  • L’autogestion de la médication, des soins, des examens, de l’injection et de l’administration
  • L’auto-dépistage, qui inclut le prélèvement, le dépistage, le diagnostic, la collecte et le suivi
  • La conscience de soi, qui comprend l’auto-assistance, l’auto-éducation, l’autorégulation, l’auto-efficacité et l’auto-détermination. 

L’idée de l’auto-prise en charge n’est pas de contraindre les personnes à se soigner elles-mêmes sans assistance, mais de les habiliter à gérer une partie de leur santé si elles le souhaitent.

Des tests et des traitements simplifiés, des dispositifs de soins accessibles sur les sites d’intervention et la technologie mobile ont contribué à l’avènement de l’auto-prise en charge ces dernières années, ce qui peut être très bénéfique pour les femmes et les jeunes filles.

Une femme pratique un autotest oral pour le dépistage du HIV

Les autotests pour le VIH, une des facettes de l’auto-prise en charge

© Carrie Hawks/MSF

Pourquoi l’auto-prise en charge est-elle importante pour les femmes ?

À l’échelle mondiale, de nombreuses femmes sont encore privées de soins essentiels, et parviennent difficilement à soigner des problèmes de santé sexuelle ou reproductive qui peuvent être stigmatisés.  

Près d’une femme sur quatre en âge de procréer n’a toujours pas accès aux moyens de contraception modernes pour planifier ou réduire le nombre de ses grossesses. Un peu plus de la moitié des personnes séropositives de plus de quinze ans à travers le monde sont des femmes. À l’échelle mondiale, les avortements non médicalisés restent une cause majeure de décès chez les femmes enceintes qui ne peuvent accéder à des options sûres d’interruption de grossesse.

Aux nombreuses entraves sociales, économiques, logistiques et autres à l’accès aux soins de santé viennent parfois s’ajouter des violences et des discriminations. Sans compter les crises humanitaires aiguës qui viennent aggraver la situation, et le contexte actuel de pandémie, qui a amplifié les divergences d’accès aux soins dans ces pays, amplifiant encore les problèmes de santé sexuelle et reproductive. Bien que des confinements aient été instaurés par souci de sécurité sanitaire, ils ont aussi accru les risques pour certaines femmes à leur domicile.

Dans de telles circonstances, les obstacles peuvent être si importants que les femmes renoncent à consulter ou à demander des soins, même si elles en ont besoin.

L’auto-prise en charge peut être un moyen de résoudre ces problèmes, comme l’a reconnu l’OMS dans ses premières directives relatives à l’auto-prise en charge, publiées en 2019, spécialement dédiées aux questions de santé sexuelle et reproductive.

En quoi l’auto-prise en charge améliore-t-elle les soins, et la santé ?

L’auto-prise en charge permet d’étendre l’accès aux soins dans les lieux les plus reculés, les contextes instables et les zones où les infrastructures sanitaires sont insuffisantes. Elle peut faciliter l’accès aux soins en dehors des hôpitaux et des cliniques, au-delà des médecins et des infirmiers. Elle peut constituer une solution pragmatique dans les périodes où les ressources sanitaires sont mises à rude épreuve, et permettre l’accès aux soins là où ils n’existaient pas auparavant.

Les interventions d’auto-prise en charge permettent de fournir des soins à faible risque et fondés sur des données probantes de manière directe et en toute discrétion au sein des communautés ou au domicile des personnes (ex. contraception auto-injectable). Offrant plus de commodité et de confidentialité, les approches d’auto-prise en charge peuvent également permettre un dépistage précoce et des soins médicaux en temps opportun, comme l’autotest du VIH.

En se concentrant sur les besoins individuels des femmes, elles peuvent également améliorer la qualité des soins proposés à chacune : des soins appropriés, respectueux et fondés sur la confiance.

Pour certaines femmes, l’auto-prise en charge peut être la seule option sûre, sans laquelle elles seraient contraintes de recourir à des services dangereux ou d’abandonner complètement tout espoir de soins. Concernant l’interruption volontaire de grossesse, l’auto-prise en charge peut même s’avérer salvatrice car l’avortement par automédication évite le recours à un avortement non médicalisé et risqué.

4 femmes sur un banc écoutent une cinquième femme parler.

L’auto-prise en charge passe également par la formation «d’éducatrices pairs», capable de sensibiliser leurs communautés et de répondre à leurs questions.

© Carrie Hawks/MSF

Comment l’auto-prise en charge peut-elle favoriser l’autonomisation des femmes ?

L’auto-prise en charge favorise l’autonomie des femmes car elle leur donne accès à des informations et à des services, qui leur permettent de décider des soins qui leur correspondent le mieux. Les femmes gagnent ainsi en choix et autonomie.

L’auto-prise en charge permet également aux femmes de venir en aide et de prendre soin des autres au sein de leur communauté par le partage d’informations et la fourniture de soins en tant qu’agentes de santé communautaires. Elles peuvent aussi se rapprocher de personnes ayant vécu les mêmes expériences et présentant des besoins de santé similaires.

Comment MSF soutient-elle l’auto-prise en charge ?

Chez MSF, nous renforçons actuellement nos capacités d’auto-prise en charge dans le cadre d’une approche de soins centrée sur le patient. À mesure que l’auto-prise en charge s’impose comme un moyen de promouvoir la santé, nous continuons de tester différents modes d’intervention pour déterminer ceux qui fonctionnent le mieux, et pour qui. Nous savons que ce sont souvent les communautés qui peuvent montrer la voie à suivre, et qu’il n’existe pas de solution toute faite.

Mais quelle que soit l’option d’auto-prise en charge, nous veillerons toujours à ce que les femmes puissent consulter des professionnels de santé qualifiés si elles le souhaitent ou le requièrent, et à ce qu’elles puissent recevoir les soins nécessaires le plus rapidement possible.

Cela est essentiel car l’auto-prise en charge ne doit en aucun cas se substituer aux soins de santé traditionnels. Elle doit faire partie d’un continuum de soin entre le système de santé traditionnel et les modèles de soins ancrés dans la communauté. Elle doit apporter une valeur ajoutée, et non pas constituer un pis-aller pour les personnes autrement exclues du système de soins.

MSF a toujours su faire preuve d’innovation pour lutter contre l’exclusion. Cette fois, avec l’aide de femmes et de jeunes filles du monde entier, nous espérons aller encore plus loin.

Main d'une femme tenant une plaquette de pilules contraceptives orales.

La pilule contraceptive est sans doute le meilleur symbole de l’importance de l’auto-prise en charge en ce qui concerne la santé des femmes.

© Carrie Hawks/MSF

Où MSF compte-t-elle intégrer l’auto-prise en charge dans ses projets ? 

Dans la province de l’Ituri, en République démocratique du Congo, nous avons introduit le contraceptif auto-injectable Sayana Press à effet longue durée. Les contraceptifs injectables à action longue durée étaient déjà disponibles dans nos cliniques auparavant, mais désormais, les femmes peuvent gérer elles-mêmes leurs injections.

Après avoir reçu des conseils sur la manière de manipuler une aiguille en toute sécurité et des instructions sur l’auto-injection par le personnel médical, les femmes peuvent emporter jusqu’à quatre dispositifs à la fois et s’auto-injecter tous les trois mois à domicile. Ainsi, elles peuvent bénéficier d’un moyen de contraception hautement efficace pendant un an sans devoir effectuer de visites répétées à la clinique, ce qui peut s’avérer chronophage voire difficile dans cette zone en proie à des conflits.En 2020, environ 3 000 doses de Sayana Press ont été fournies aux femmes dans les projets de MSF à Angumu, Nizi et Drodro.

Depuis mai 2017 dans le district de Shiselweni en Eswatini, nous proposons des autotests oraux du VIH dans notre programme de prévention et de traitement du VIH et de la tuberculose. L’Eswatini présente le taux de prévalence du VIH le plus élevé du monde. Des investissements conséquents ont été effectués à l’échelle du pays pour établir des services complets de lutte contre le virus. Ceux-ci ont permis de réduire la transmission, mais le VIH reste l’objet d’importantes stigmatisations, qui sont souvent associées à des inégalités sociales.

Dans le projet de santé sexuelle et reproductive mené par MSF au Malawi de 2014 à 2020 pour venir en aide aux travailleuses du sexe, l’auto-prise en charge était au cœur de notre approche axée sur l’entraide entre membres d’une même communauté. Tout comme les travailleuses du sexe dans d’autres régions du monde, elles sont désavantagées par leur faible statut social et économique, les discriminations et la criminalisation. Au Malawi, nous avons décidé de nous attaquer de front au problème en les intégrant directement dans notre programme complet de soins.

Leurs activités reposaient sur les trois piliers de l’auto-prise en charge : la conscience de soi en faisant la promotion de l’auto-éducation par exemple ; l’auto-dépistage par le biais des tests à domicile pour le VIH et d’autres maladies ; et l’autogestion, notamment la prévention de grossesses non désirées après une relation non protégée ou des violences sexuelles. Ces opérations ont permis aux travailleuses du sexe de bénéficier d’un accès confidentiel aux informations, aux soins et à d’autres formes de soutien à toute heure du jour et de la nuit auprès de femmes comme elles, qui comprenaient leurs vies et leurs difficultés. 

À Naplouse, en Palestine, notre projet de santé mentale spécialisé pour les personnes souffrant de troubles mentaux modérés à graves et les victimes de violences prend en charge enfants comme adultes, notamment des victimes de violences domestiques. L’année dernière, alors que des confinements étaient instaurés à travers le monde pour endiguer l’épidémie de Covid-19, les femmes de Naplouse se sont soudainement retrouvées coincées chez elles, sans échappatoire possible. La seule manière pour nous de les atteindre et de continuer de leur apporter notre soutien a été de passer à la téléconsultation − une méthode nouvelle, tant pour nos thérapeutes que pour nos patientes. Les femmes victimes de violences ont élaboré des plans de sécurité avec leurs thérapeutes, mis en place des régimes d’auto-prise en charge pour faire baisser leur anxiété quand la situation revenait au calme et inventé des mots de code pour indiquer que leur partenaire pouvait entendre la consultation téléphonique. En réalité, nous avons même constaté une baisse des abandons du programme de suivi psychologique par rapport à la période pré-pandémie.

L’année dernière, dans le district de Gutu au Zimbabwe, notre programme de prévention et de traitement précoce du cancer du col de l’utérus, mené en collaboration avec le ministère de la Santé et des Soins à l’enfance zimbabwéen, a servi de tremplin à un essai comparant l’auto-prélèvement pour le test du papillomavirus humain à celui effectué par un infirmier. En effet, sans un meilleur accès à la prévention du cancer du col de l’utérus, la mortalité précoce des femmes dans les pays à forte prévalence comme le Zimbabwe reste élevée. 

L’essai a montré que le prélèvement pouvait être effectué de manière aussi efficace par les infirmiers et les patientes. 

Concernant la santé sexuelle et reproductive, l’avortement médicalisé est le soin le plus difficile d’accès pour les femmes. Toutefois, grâce à l’avortement médicamenteux et à son régime de pilules à prendre sur 24 heures, l’interruption de grossesse a non seulement été simplifiée, mais aussi rendue praticable dans l’intimité du domicile d’une femme ou d’une jeune fille.

Selon le contexte, cette prise en charge à distance peut s’avérer absolument salvatrice pour les femmes non mariées, les victimes de viol, les femmes déplacées ou toute autre femme souhaitant mettre un terme à une grossesse non désirée. Les femmes nous le disent, et se passent le mot. Pour nous, la prochaine étape sera d’adapter ce service pour le rendre plus accessible, notamment en mettant en place des lignes d’assistance téléphonique gratuites et des livraisons à domicile des médicaments et des instructions.

Les possibilités de développement d’une offre de soins de qualité et centrés sur le patient pour les femmes et les jeunes filles sont nombreuses. Nous pouvons adopter des approches d’auto-prise en charge, en particulier dans les contextes où MSF est présente : les zones en proie à des crises aiguës ou difficiles d’accès. Certes, l’auto-prise en charge doit toujours être proposée en lien avec un accompagnement médical traditionnel, mais elle peut jouer un rôle très utile dans les contextes où il y a peu d’infrastructures ou de professionnels de santé, ou lorsque des personnes marginalisées ont besoin de soins en dehors du système formel.

De notre expérience de coopération avec les autorités sanitaires, les organisations et les communautés locales dans de tels contextes, nous pensons que l’auto-prise en charge peut être mieux intégrée aux systèmes de soins pour permettre aux femmes et aux jeunes filles de reprendre le contrôle de leur santé et de leur bien-être.

Donnons le pouvoir aux femmes et aux jeunes filles, et faisons leur confiance pour prendre soin d’elles-mêmes et de leur santé, quel que soit l’endroit où elles vivent, en leur apportant les bonnes informations et les bons outils.