Ulcère de Buruli: « Nous écrivons une page de la petite histoire médicale »

Il y a une prise de conscience que la plaie n’est pas seulement le sous-produit d’une maladie : seul 20% de la cicatrisation d’une plaie est spécifique à la maladie.

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Après 12 ans d’implication dans le traitement de l’ulcère de Buruli au Cameroun, à Akonolinga, Médecins Sans Frontières a complété la passation de certaines activités au ministère de la Santé. La particularité du Pavillon Buruli et son caractère unique a suscité l’intérêt de plusieurs partenaires, notamment les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) qui poursuivront la formation du personnel médical et des aides-soignants dans la prise en charge des plaies chroniques et de celles liées au Buruli.

Entrevue croisée sur l’avenir du projet avec Éric Comte, ancien directeur médical de MSF et Hubert Vuagnat, Médecin Chef de service en réadaptation médicale aux HUG.

Quel est le futur du projet de prise en charge de l’ulcère de Buruli à Akonolinga?

Eric Comte: Quand je suis arrivé chez Médecins Sans Frontières en 2005, nous ne connaissions pas l’ulcère de Buruli. Nous pouvons être fiers du travail qui a été fait jusqu’à maintenant. Grâce à la dynamique des équipes au Cameroun et la coopération avec l’équipe des HUG, les soins de plaies qui sont pratiqués à Akonolinga sont désormais de très bonne qualité. On a également élargi le programme aux plaies chroniques – ce qui nous a permis de traiter beaucoup plus de personnes. Mais la véritable richesse est d’avoir une équipe motivée et formée à la prise en charge des plaies. Notre équipe sur le terrain à fortement développé les relations avec les universités de Yaoundé qui sont maintenant très impliquées dans le soin des plaies.
Hubert Vuagnat : Le premier cours sur l’ulcère de Buruli et les plaies chroniques a été donné par la Haute École de santé de Genève en 2008. Depuis, nous avons donné deux autres cours, dispensés principalement à des enseignants camerounais sous l’égide de l’Université de Yaoundé.
Nous envisageons trois prochaines formations, une cette année et deux en 2015. Désormais, nous voulons que la formation traite d’abord des plaies chroniques et ensuite du Buruli. L’ulcère est un problème à Akonolinga et dans des foyers endémiques mais le nombre de cas est faible comparé aux plaies chroniques au Cameroun et dans le monde. Grâce à la collaboration entre l’Université de Yaoundé et le support universitaire de Genève, du European Wound Management Association (EWMA) et de l’Association Suisse pour les Soins des Plaies, nous souhaitons mettre en place un diplôme universitaire qui s’adresse à des soignants camerounais ou de la sous-région. On s’aperçoit que tous les soignants ont des cas de plaies chroniques et qu’ils ne sont pas forcément à l’aise avec le traitement.

En quoi ce cours diffère de ce qui est déjà offert à l’Université de Yaoundé?

HV : Pour le moment, le soin de plaies n’est pas enseigné au Cameroun. A ma connaissance, le seul programme de soins de plaies dans la région est en Afrique du Sud. Notre formule offrira un diplôme fait de plusieurs modules. Il y aura un module d’enseignement en français sur les soins de base et un deuxième module de sept jours pour les compétences plus avancées dans les soins de plaies. Que l’on suive l’un ou l’autre des modules, il y aura cinq jours de pratique à Akonolinga. C’est là où ce centre est unique parce que c’est le seul de la sous-région où l’on applique les préceptes de soins de plaies dit « modernes ». Au Pavillon, les étudiants sont en situation réelle et peuvent mieux assimiler ce qui a été enseigné.

De quoi parle-t-on quand on dit « soins modernes »?

HV : Le soin moderne implique de déterminer les phases de la cicatrisation selon l’aspect de la plaie et de réagir en fonction de la maladie sous-jacente. Les pansements qu’on appelle « modernes » nous facilitent la vie; ils sont faciles à appliquer et n’ont pas besoin d’être changé tous les jours. Ils restent très chers, ce qui est un énorme problème, même si nous avons espoir de voir les prix baisser. Pour des pays à ressources réduites, ce n’est simplement pas abordable.
EC : En temps normal, l’organisme est équipé de tout ce qu’il faut pour nettoyer la plaie, la colmater et la fermer. Dans le cas d’une plaie chronique, il y a souvent des facteurs qui empêchent la cicatrisation et c’est là que bonne connaissance de la plaie est nécessaire.

Quelle sera la suite de votre implication au Cameroun?

HV : Sur la bases des cours organisés et des diverses demandes de financement, notamment auprès de la société suisse de soins de plaies et de la commission humanitaire des HUG, il nous apparaissait possible de maintenir la formation le temps de chercher des financements à plus long terme. De cette manière une partie de l’équipe en place peut continuer à traiter les plaies de l’ensemble du district sanitaire.
On espère que les personnes réunies dans l’association camerounaise de soins des plaies, qui a récemment vu le jour, agiront comme porte-paroles pour faire avancer la cause dans le pays.
EC : Notre but est de maintenir l’apprentissage et l’enrichissement continu. Les cours sont dynamiques et interactifs, et sont donnés par des professeurs de renom.
HV : L’intérêt pour le soin des plaies ne cesse de croître, il est en train de devenir une spécialité. Il y a une prise de conscience que la plaie n’est pas seulement le sous-produit d’une maladie : seul 20% de la cicatrisation d’une plaie est spécifique à la maladie.
Je crois que nous sommes en train d’écrire une page de la petite histoire médicale. Nous n’aurons jamais de prix Nobel ou de médaille, mais nous participons au développement sanitaire global, notamment grâce à l’intérêt accru des techniques de soins des plaies et leur introduction auprès de l’Organisation Mondiale de la Santé.

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