Typhon Haiyan: “La dépression peut être tout aussi invalidante que la cécité”

La plupart de nos patients sont des enfants ou des personnes âgées.

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Suite au passage du typhon Haiyan, alors que la phase aigüe de l’urgence s’atténue, le prochain grand défi des habitants des Philippines sera de faire face aux conséquences psychologiques de la catastrophe.

Ana Maria Tijerino, psychologue et référente en santé mentale, travaille avec les équipes d’urgence de MSF sur l’île de Panay. Elle décrit l’étendue des besoins que les équipes découvrent sur place et la réponse envisagée par MSF.
Nos activités médicales ont débuté à Panay il y a seulement trois jours mais nous voyons déjà de très nombreuses personnes souffrant de stress psychologique. La situation est particulièrement grave dans les villages que les habitants n’ont pas eu le temps d’évacuer. Ils ont pris la tempête de plein fouet et ont vu les destructions se produire sous leurs yeux. Il est presque impossible de s’en sortir indemne sur le plan psychologique après une telle expérience.
Souvent les personnes se présentent au centre de santé avec des maux de tête, maux de dos ou difficultés respiratoires. Ces symptômes sont fréquemment liés au stress vécu. Nous cherchons à «normaliser» ces symptômes et leur faire comprendre que ce dont ils souffrent est simplement une réaction normale à un événement anormal.
Aujourd’hui j’ai vu une femme qui avait été incapable de quitter son lit pendant une semaine. Elle souffrait de nombreux maux de tête et éprouvait des douleurs physiques. Elle avait fait l’effort de se lever aujourd’hui parce qu’elle avait entendu qu’une équipe médicale se rendait dans son village. Le docteur qui l’a examinée s’est vite aperçu que ses douleurs étaient directement liées au stress qu’elle avait vécu lors du passage du typhon. Elle et son mari avaient trouvé refuge sous un lit pendant la catastrophe alors que leur maison était en train de s’effondrer. En expliquant ce qu’elle avait vécu, elle a fondu en larmes. Elle ne s’est pas arrêtée de pleurer pendant la consultation.

Les personnes âgées et les enfants sont les plus vulnérables

La plupart de nos patients sont des enfants ou des personnes âgées. Ces dernières sont particulièrement vulnérables lors d’une urgence. Souvent, elles n’ont pas de relations solides sur lesquelles s’appuyer, peuvent avoir perdu leur conjoint, ou souffrir d’infirmités physiques. Leur évacuation est plus compliquée, et elles refusent parfois de partir en espérant protéger leur maison. Les personnes âgées sont rarement les premières à bénéficier de l’aide humanitaire, qui est fréquemment destinée aux enfants et aux femmes en âge d’être mères. Dans leur culture, elles sont considérées comme les chefs de famille.  Ces personnes âgées ont donc beaucoup de pression à supporter. Même si elles ont vécu la catastrophe de manière terrible, elles doivent continuer à prendre soin de leur famille.
Les enfants ont été profondément affectés par la catastrophe. Les écoles sont complètement détruites, et il est peu probable qu’elles puissent rouvrir prochainement. Les enfants n’ont donc pas d’emploi du temps quotidien, alors que c’est un repère essentiel dans le processus curatif. Le signe positif est qu’on les voit jouer dans le village, ce qui montre leur résilience au cœur de la crise. Dans nos cliniques, les enfants ont des réactions différentes les unes des autres après le passage du cyclone. Ils ont peur, ne peuvent pas dormir; beaucoup pleurent lorsqu’il se met à pleuvoir.
Aujourd’hui j’ai vu une petite fille qui ne pouvait plus dormir parce qu’elle avait trop peur. Quelqu’un était mort près de sa maison et elle me racontait qu’un esprit s’était emparé d’elle. Pendant le passage du typhon, elle s’était retrouvée enfermée dans sa propre maison avec sa famille pendant neuf heures, face au mur, essayant de se protéger du vent et de la pluie. Elle pouvait décrire ce qu’elle avait ressenti à ce moment-là, mais ce qu’elle avait vécu était si intense qu’elle avait aussi besoin de recourir à une interprétation surnaturelle de la situation. Nous allons travailler avec elle et ses parents, et utiliser la thérapie par le dessin pour l’encourager à s’exprimer et à canaliser ses émotions.
Nous allons mettre en place des activités ciblées pour les enfants, des groupes de dessins et de jeux, mais aussi des consultations avec les parents pour les encourager à exprimer ce qu’ils viennent de traverser.

Atteindre les zones isolées

Nous intervenons dans une zone reculée; les habitants vivent dans des villages isolés ou sur des petites îles. L’un de nos défis majeurs sera d’atteindre le plus grand nombre de personnes possible. Dans nos cliniques mobiles, nous proposerons des sessions individuelles et de groupe, et nous assurerons la formation de travailleurs de santé communautaires et d’enseignants. Nous essaierons également de détecter les cas graves susceptibles de requérir une assistance supplémentaire.
Les groupes de soutien mutuel devrait bien fonctionner. Les adultes se sont montrés particulièrement réceptifs, ils ont déjà choisi cet outil pour s’en sortir. Les groupes «réactivent» les mécanismes qui permettent de faire face aux difficultés. Ils encouragent les personnes à échanger entre elles afin de trouver des solutions et à partager des expériences similaires. La meilleure stratégie est d’encourager la communauté à s’aider elle-même.

La force dans la communauté

Aux Philippines, il existe un sens très fort de la communauté. Cela participera certainement au processus de guérison. Les habitants se sont beaucoup mobilisés pour s’aider les uns les autres, allant jusqu’à offrir un abri et des vêtements à leurs voisins alors qu’eux-mêmes avaient tout perdu.
Les habitants des Philippines sont habitués aux catastrophes naturelles mais le typhon à été d’une ampleur inhabituelle. Offrir des soins de santé mentale est donc absolument essentiel. La dépression peut parfois être aussi invalidante que la cécité. Les troubles dus à l’anxiété et les crises d’angoisse empêchent les gens de mener une vie normale au quotidien. Ce sont ces conséquences à long terme que nous nous efforçons de prévenir.
Forte de l’expérience acquise lors de ses interventions suite au tsunami de 2004 et au tremblement de terre à Haïti, MSF sait qu’il est essentiel d’apporter une réponse immédiate aux besoins en santé mentale. Afin de prévenir les conséquences psychologiques négatives durables qu’occasionne une catastrophe, les besoins en santé mentale doivent être pris en charge à un stade très précoce dans la réponse médicale et humanitaire.
MSF a déjà envoyé 194 expatriés dont 8 psychologues aux Philippines. Avec l’aide du personnel local, ils s’efforcent de soulager les souffrances psychologiques qui font suite à une catastrophe d’une telle ampleur.

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