«Un échec cuisant de solidarité» : MSF dénonce six mois de négligence honteuse au Soudan

Hôpital Bashair, soutenu par MSF, dans le sud de Khartoum. 10 septembre 2023.

Soudan11 min

Six mois après le début du conflit, la guerre brutale au Soudan continue d'infliger des souffrances incommensurables : elle met des vies en danger, déplace des millions de personnes de leurs foyers et provoque des décès même dans des zones éloignées des lignes de front. Pour éviter que la tragédie ne s'aggrave, MSF demande une augmentation substantielle des efforts humanitaires, la protection du personnel médical, des travailleurs humanitaires et des civils, la levée des obstacles administratifs, à l'approvisionnement, au personnel médical et humanitaire, ainsi que l'accès sans entrave à l'aide humanitaire.

Six mois après le début de la guerre au Soudan, la vie de la population civile est toujours menacée par les bombardements, les tirs d'obus et les fusillades - directement et indirectement. Le personnel de santé et les volontaires soudanais peinent à répondre aux besoins médicaux de la population et le système de santé du pays est au bord de l'effondrement, affirme MSF, dont les équipes constatent l'absence honteuse d'organisations humanitaires dans le pays. Dans les zones où l'aide est apportée, la réponse est insuffisante pour faire face aux besoins immenses de la population, constate MSF, qui appelle à une augmentation immédiate des efforts humanitaires.

« La crise du Soudan est l'exemple même d'un échec catastrophique de solidaritémarqué par l'incapacité des parties belligérantes à protéger les civils ou à faciliter l'accès à l'aide humanitaire essentielle, et par la négligence et les lacunes des organisations internationales à fournir une réponse adéquate », déclare le Dr Christos Christou, président international de MSF.  « Sans une augmentation immédiate et substantielle de la réponse humanitaire, ce à quoi nous assistons aujourd'hui ne sera que le début d'une tragédie encore plus significative : un nombre croissant de personnes continueront à mourir inutilement ».

Dans tout le pays, le système de santé, déjà fragile avant le conflit, suffoque. Les salles d'urgence sont encombrées et de nombreux hôpitaux ont complètement fermé leurs portes. Dans la capitale, Khartoum, les équipes médicales de MSF assistent à l'un des conflits urbains les plus intenses qui se déroulent actuellement dans le monde. Un grand nombre de blessés arrivent dans les hôpitaux avec des blessures qui mettent leur vie en danger, ne laissant souvent au personnel médical d'autre choix que l'amputation

À Khartoum comme au Darfour, de nombreux patients sont gravement blessés, au point de devoir subir plusieurs interventions chirurgicales. À plus de sept reprises, rien qu'au mois de septembre, les hôpitaux où MSF opère ont reçu un afflux important de blessés à la suite de bombardements, de frappes aériennes et d'explosions.

Shazeer Majeed, chirurgien de MSF au Soudan

 Même les personnes qui ne sont pas directement touchées par la violence souffrent des effets indirects de la guerre. Le Soudan connaît une pénurie chronique de médicaments. Les pharmacies ont soit épuisé leurs stocks, soit augmenté leurs prix, rendant de nombreux médicaments inabordables pour ceux et celles qui en ont besoin. En conséquence, les patients atteints de maladies chroniques souffrent de graves complications et meurent parfois.

« Nous voyons des cas critiques arriver à l'hôpital en raison du manque de médicaments, en particulier des patients souffrant de maladies comme le diabète », explique Frauke Ossig, cheffe de mission de MSF. « Le temps qu'ils nous parviennent, nous ne pouvons souvent pas faire grand-chose. »

Même dans des endroits plus faciles d'accès, des millions de personnes déplacées vivent dans des camps surpeuplés et des abris de fortune tels que des écoles, après avoir été chassées de chez elles par la violence. Dans ces sites, des personnes, y compris des enfants, meurent de maladies telles que le paludisme et la rougeole, en raison du manque honteux de réponse humanitaire. À Khartoum, ainsi que dans de nombreux camps, les systèmes d'approvisionnement en eau ont été détruits ou sont inadaptés aux besoins de la population, ce qui augmente le risque d'épidémies de choléra et rend plus difficile la prise en charge des épidémies  de choléra en temps de guerre. Les équipes de MSF soutiennent le Ministère de la Santé dans de nombreux endroits pour s'assurer que le personnel de santé est prêt à répondre à d'éventuelles épidémies de choléra.

La réponse humanitaire de MSF est entravée par des obstacles bureaucratiques et administratifs considérables, imposés par les autorités soudanaises. Il s'agit notamment de restrictions des mouvements du personnel, de refus de permis de séjour, de retards dans l'acheminement des fournitures médicales et d'interdictions sur des fournitures spécifiques, telles que les fournitures chirurgicales. Dans le sud de Khartoum, l'un des hôpitaux soutenus par MSF dispose de moins d'une semaine de fournitures essentielles pour prodiguer des soins d'urgence aux patients blessés. Une fois ces fournitures épuisées, les équipes de MSF ne seront plus en mesure de fournir ces soins.

« Les fournitures qui parviennent aux structures de santé sont rapidement épuisées, ce qui entraîne des conséquences sanitaires désastreuses, voire des décès », explique Claire Nicolet, responsable adjointe des urgences de MSF. « Nous avons désespérément besoin de matériel chirurgical et médical, non seulement pour les soins de traumatologie, mais aussi pour les chirurgies obstétriques, car nous voyons que de nombreuses femmes enceintes sont dans des conditions qui mettent leur vie en danger. »

Alors que la fin de la guerre n'est pas en vue, MSF demande une augmentation substantielle des efforts d'aide humanitaire, la protection des travailleurs médicaux et humanitaires et des civils, la levée des obstacles administratifs au personnel médical et humanitaire et à l'approvisionnement et l'accès sans entrave des populations à l'aide.

« Le système de santé soudanais est au bord de l'effondrement et, sans une action urgente, les personnes les plus vulnérables continueront à subir le poids de la violence, ce qui entraînera davantage de décès évitables » déclare Frauke Ossig, cheffe de mission de MSF.

La réponse de MSF au Soudan

  • MSF travaille au Soudan depuis 1979. Aujourd'hui, les équipes de MSF travaillent dans 10 états : Khartoum, Al-Jazeera, Nil Blanc, Nil Bleu, Nil Rivière, Al Gedaref, Darfour Ouest, Darfour Nord, Darfour Central et Darfour Sud. Les équipes de MSF apportent également une aide aux réfugiés et aux rapatriés au-delà des frontières du Soudan, au Sud-Soudan, en République centrafricaine et au Tchad.
  • Les équipes de MSF au Soudan fournissent des soins d'urgence, pratiquent des interventions chirurgicales, gèrent des cliniques mobiles pour les personnes déplacées, traitent les maladies transmissibles et non transmissibles, fournissent des soins maternels et pédiatriques, y compris des accouchements sans risques, fournissent de l'eau et des services d'assainissement, font don de médicaments et de matériel médical aux établissements de santé et fournissent des primes d'encouragement, des formations et un soutien logistique au personnel du Ministère de la Santé. MSF poursuit également certaines de ses activités médicales qui étaient en place avant le début du conflit.
  • Depuis le début de la guerre, les équipes MSF de l'hôpital de Bashair, à Khartoum, ont effectué plus de 1 500 interventions chirurgicales, dont 93% pour des patients souffrant de blessures liées au conflit. Le personnel MSF de l'hôpital de Bashair a également assuré plus de 300 consultations de maternité.
  • Depuis le début de leur travail à l'hôpital turc de Khartoum en juin, les équipes MSF ont reçu plus de 8 600 personnes aux urgences (dont près de 1 500 enfants et plus de 1 900 adultes, y compris des cas de maternité), pratiqué 122 interventions chirurgicales générales/orthopédiques et 166 césariennes/chirurgies obstétricales d'urgence. Depuis le mois d'août, les sages-femmes MSF ont pratiqué près de 300 accouchements.
  • Au cours des six derniers mois, les équipes de MSF ont soutenu le ministère de la Santé à Omdurman, dans l'État de Khartoum, qui a reçu plus de 10 000 admissions d'urgence. Au Darfour, MSF a reçu plus de 8 500 admissions d'urgence. Les équipes MSF ont effectué plus de 16 000 consultations dans le camp de Zamzam, dans l'État du Darfour Nord, et ont reçu plus de 1 000 admissions en maternité et en pédiatrie à Um Duwwan Ban, dans l'État de Khartoum. À l'hôpital Alban Jadeed, à Khartoum, les équipes MSF ont assuré plus de 5 000 consultations, dont près d'un cinquième étaient des cas d'urgence. Dans l'état du Nil Blanc, les équipes MSF ont assuré plus de 50 000 consultations. Dans l'état d'Al-Jazeera, les équipes MSF ont assuré plus de 25 000 consultations. Au cours des six derniers mois, les équipes de MSF au Soudan ont assuré plus de 10 000 consultations en santé mentale.
  • La réponse de MSF aux besoins au Soudan dispose d'un budget de 76 millions d'euros pour 2023. MSF compte 1 145 employés soudanais et 57 employés internationaux travaillant actuellement au Soudan. MSF verse également des primes à 1358 membres du personnel du ministère de la Santé