Cinq ans après la bataille de Mossoul, cinq personnes témoignent

Hôpital de Nablus, Mossoul Ouest.

Irak15 min

Le 10 juillet 2017, la bataille de Mossoul prenait fin. Cinq personnes nous livrent leur témoignage. Hanan, Sahir, Ahmed, Rahma travaillent pour MSF, ils racontent chacun à leur manière la façon dont ils ont vécu les évènements. Faris, quant à lui, a été pris en charge par les équipes MSF après avoir été blessé, il nous livre son parcours ces dernières années.

« Nous allons de l'avant, vers le mieux », Hanan Arif

Hanan Arif travaille à l'hôpital MSF d'Al-Wahda, à Mossoul Est depuis 2021. Elle vit à Mossoul Ouest depuis sa naissance.

« Mossoul est bien mieux aujourd'hui. Après la guerre, nous avons rencontré de grandes difficultés, des pénuries et des déplacements. Mais heureusement, les rues et les bâtiments sont en cours de réhabilitation, les parcs sont de nouveau verdoyants. Mossoul se remet et se relève. Personnellement, avant de rejoindre MSF, j'ai traversé des moments difficiles, sans emploi ni rien sur quoi dépendre. J'ai été couturière pendant 25 ans, mais j'ai dû arrêter à cause de ma vue qui se détériorait. Maintenant, je travaille et ma famille va très bien aussi. Nous sommes heureux, et nous avons une vie stable. C'est certain, les choses changent, pour le mieux.

Portrait d'Hanan Arif.

Portrait d'Hanan Arif.

© MSF/Florence Dozol

La guerre et les années qui l'ont suivie ont été des moments très éprouvants. J'ai perdu mon frère et je n'ai pas pu voir ma fille pendant des années parce qu'elle vivait à Dohuk et qu'il n'était pas possible d'entrer et de sortir de Mossoul. Nous n'avons pas fui notre maison à Mossoul Ouest, car c'était notre foyer. A ce moment-là, nous nous sentions comme entre le marteau et l'enclume, avec d'un côté les difficultés que nous traversions et de l'autre la guerre en cours. C'est très différent d'être quelque part et d'entendre parler d'un conflit ou d’être au milieu du champ de bataille comme c’était notre cas. Avoir ses enfants sous les yeux tous les jours, savoir qu'ils peuvent mourir à tout moment, c’était angoissant. Mais je suis une personne forte, je devais être forte pour ma famille. Je ne pouvais pas leur laisser percevoir ma peur. Pendant les combats intenses et les frappes aériennes, je les rassurais et les encourageais à croire que cela finirait par passer. Et heureusement, c'est arrivé. Nous avons fui notre quartier à pied, en traversant vers Mossoul Est.

A mi-chemin sur le pont, je me suis arrêtée et j'ai regardé en arrière vers Mossoul Ouest. Ce tableau de fumée et de destructions m'a brisé le cœur. C'était une telle douleur de voir Mossoul, notre mère bien-aimée, mourir ainsi sous nos yeux. Mais maintenant, Mossoul est de retour et va de mieux en mieux.

Les gens ont un grand rôle à jouer dans la renaissance de Mossoul. Si les gens eux-mêmes ne commencent pas à se relever, ce sera impossible de reconstruire Mossoul. La ville a besoin de ses habitants, de ses autorités et de tout le monde. C'est grâce à la collaboration de chacun que Mossoul redeviendra ce qu'elle était auparavant. Je vois des initiatives sur les médias sociaux, montrant les gens qui contribuent à rebâtir des quartiers endommagés de la vieille ville. Certains influenceurs lèvent des fonds pour aider à reconstruire les maisons des familles pauvres. Ces efforts doivent être reconnus et salués car ces personnes travaillent sans relâche sans chercher d'avantages personnels. Leur seul souhait est de reconstruire Mossoul et d'aider ses habitants à retrouver leur vie.

Nous nous sentons en sécurité à Mossoul aujourd'hui et c'est un endroit où il fait bon vivre. J'aime Mossoul, et il n'y a pas un endroit dans la ville où je n'ai pas un souvenir cher. »

« Mossoul est comme une fleur prête à éclore », Sahir Dawood 

Portrait de Sahir Dawood.

Portrait de Sahir Dawood.

© MSF/Florence Dozol

Sahir Dawood, promoteur de santé MSF à l'hôpital de Nablus, à Mossoul Ouest. Pendant la bataille, il a fui la ville afin de terminer ses études. Pendant quatre mois, il a eu très peu de contacts avec sa famille, mais ils ont fini par se retrouver dans les camps de Qayyarah. Il travaille avec MSF à Mossoul depuis février 2018. 

« Mossoul a connu des changements radicaux au cours des cinq dernières années. Et par là, je veux dire littéralement.

La première fois que je suis retourné dans la ville, juste après la fin de la bataille, j'avais l'impression d'être dans une ville fantôme. Je regardais à ma droite, à ma gauche, et les seules choses que je voyais étaient des décombres, des bâtiments détruits et des rues vides, avec quelques personnes exténuées ici et là. Mais maintenant, quand je me promène dans la ville, je vois des gens qui travaillent et qui sortent. Je vois des bâtiments debout, des rues éclairées la nuit. Les choses s'améliorent petit à petit. 

Lorsque j'ai commencé avec MSF, nous recevions des patients qui étaient mentalement brisés. Je me souviens d'un patient qui s'est présenté aux urgences (ER), âgé d'une quarantaine d'années. Il voulait qu'on vérifie sa tension artérielle car il ne se sentait pas bien. Après l'examen, les signes vitaux étaient normaux. En tant que promoteur de santé, nous avons un contact étroit avec les patients, et pour celui-ci, j'ai senti qu'il avait quelque chose à dire, mais qu'il était incapable de l'exprimer. Je lui ai proposé d'aller dans un espace privé où il pourrait raconter son histoire s'il le souhaitait. Il m'a confié que pendant la guerre, lui est sa famille sont restés à Mossoul. Un jour, sa femme et ses enfants étaient assis dehors lorsqu'un bombardement a eu lieu. Tous les membres de sa famille sont morts à ce moment-là. Il était en état de choc, incapable de bouger ou même de pleurer. Il m'a dit : "J'aurais préféré mourir avec eux plutôt que de supporter cette vie de torture." Depuis ce jour, il fait des cauchemars, dans lesquels il se précipite pour les secourir, mais les seules choses qu'il voit sont des décombres. J'entends beaucoup d'histoires comme celle-ci, et ces gens mettront du temps à guérir. Ce que Mossoul a vécu n'est pas simple. Je ne pense pas qu'une autre ville ait vécu cela. Et retrouver la même vie qu'avant la guerre demande beaucoup de temps, car il n'y a pas de solution magique pour tout résoudre rapidement.

Pour moi, Mossoul est comme une fleur qui n'a pas été arrosée pendant un certain temps et qui a commencé à faner. Mais heureusement, Mossoul n'est pas morte. Elle reçoit de l'eau à nouveau et la fleur se remet. Mossoul est maintenant prête à éclore. »

« J'ai vu une humanité comme je n’en avais jamais vue auparavant », Ahmed Abdullah

Portrait d'Ahmed Abdullah

Ahmed Abdullah, membre du personnel MSF.

© MSF/Florence Dozol

Ahmed Abdullah est technicien MSF en eau et assainissement à l'hôpital Al-Wahda, à Mossoul Est. Il a commencé à travailler avec l'organisation en 2017 dans l'hôpital de traumatologie d'Hamman Al-Alil, qui recevait des blessés de guerre fuyant Mossoul alors que les batailles étaient toujours en cours.

« Quand je travaillais à Hamman Al-Alil, j'ai vu des gens, des étrangers, travaillant pour des organisations humanitaires, courir devant nous, plus vite que nous, se précipiter pour secourir les blessés. Nous, Mossouliotes, nous faisions de notre mieux, mais nous étions encore en état de choc, à cause de ce que nous avions vécu. Petit à petit, avec les encouragements des équipes internationales et la relation forte que nous avons tissée ensemble, nous avons réussi à surmonter le choc, nous avons commencé à nous précipiter aussi, pour secourir les blessés de notre ville. C'était la première fois que nous sauvions des vies. C'était un grand sentiment d'accomplissement. Avant cela, notre réalité n'était que brutalité, tueries et déplacements massifs. Nous n'étions pas aussi familiers de l'esprit humanitaire. Aujourd'hui, une grande partie de moi a changé grâce au travail humanitaire. Parce que j'ai vu une humanité comme je n’en avais jamais vue auparavant.

Pendant la guerre, nous attendions que quelque chose se passe, soit fuir, soit mourir, car pour nous, mourir était une façon d'échapper à notre réalité.

Nous avons réussi à fuir. Quand nous sommes revenus, notre maison n'avait plus de fenêtre, plus de porte, tout était cassé. Les murs avaient des impacts de balles et il y avait des restes de grenades partout. Mais tout cela n'avait pas d'importance. Nous étions si heureux d'être de retour, en vie et de nous retrouver en famille dans notre maison. Je ne peux pas décrire ce sentiment, c'était juste incroyable.

La vie a changé depuis la fin de la guerre. Il y a eu de nombreuses crises à Mossoul, mais nous avons pu les surmonter petit à petit, à mesure que la sécurité s'améliorait dans le gouvernorat. Les routes sont un exemple parmi d’autres : Mossoul Ouest n’était plus relié à Mossoul Est. Il n'y avait qu'un seul pont que les gens pouvaient emprunter mais il était complètement encombré par le trafic. C'était l'une des plus grandes difficultés pour les habitants de Mossoul. Mais progressivement, les ponts ont été rétablis. Davantage d'endroits ont rouvert. Les barrières et les checkpoints ont été peu à peu supprimés. La vie est progressivement revenue à Mossoul. Mais nous sommes tous confrontés à des difficultés, et les besoins sont encore importants. Les gens peinent à trouver un logement et un emploi. Nous avons besoin de plus de soutien pour pouvoir reconstruire Mossoul. Car Mossoul est la ville aux deux printemps, où les gens vivent simplement, et Mossoul mérite cette renaissance. »

« Je suis une nouvelle Rahma aujourd’hui », Rahma Dhahir

Portrait de Rahma Dhahir.

Portrait de Rahma Dhahir.

© MSF/Florence Dozol

Rahma Dhahir est traductrice MSF à l'hôpital de Nablus, à Mossoul Ouest. Elle travaille avec MSF depuis trois ans. Elle est originaire de Mossoul et y vit toujours.

« Pendant la bataille, nous étions bloquées dans la ville. Nous n'avions pas d'autre choix que d'être témoins de la violence et de la guerre. Ce que nous avons vécu a certainement laissé un impact sur notre santé mentale. Jusqu'à aujourd'hui, j'entends des bruits de roquettes et d'explosions, même s'ils ne sont que dans ma tête. J'ai des flashbacks que je n'oublierai jamais. Mais aujourd'hui, je suis une nouvelle Rahma. Heureusement, ma famille et moi menons une vie heureuse et saine, et tout ce que nous avons vécu est maintenant derrière nous.

Il y a cinq ans, la ville était en ruines, et maintenant, nous voyons la différence. Mais la reconstruction n'est pas à la hauteur des besoins. Depuis que j'ai commencé à travailler à la maternité, j'ai également constaté des changements dans les histoires que je traduis pour l'équipe médicale. Les patients avaient l'habitude d'arriver avec des récits tragiques, que j'essayais de traduire au plus près de ce que les patientes avaient vécu. Certaines venaient de très loin, et elles manquaient de tout. Elles venaient à Nablus pour trouver de l'aide ou une sorte de protection pour quelques heures. Aujourd'hui encore, nous voyons des patientes qui n'ont pas de maison ou de proche en vie parce que la guerre les en a privées. 

Malgré tout, je vois aujourd'hui une énergie positive de la part des jeunes de la ville qui essaient de reconstruire Mossoul. Ils se portent volontaires pour contribuer à rouvrir les écoles et rebâtir les maisons et les bâtiments.

Mon endroit préféré dans la ville est l'université de Mossoul. Dès que je peux, j'y retourne, car mes meilleurs souvenirs remontent à l'époque où j'étudiais à l'université. Après la fin de la guerre, j'ai visité l'université et j'ai vu que les bâtiments étaient tous détruits, complètement calcinés. Aucun édifice n'était encore debout. En marchant dans les allées, mon cœur pleurait. Cet endroit est essentiel pour s'éduquer, se reconstruire et se développer, et c'était très douloureux de le voir détruit. Aujourd'hui, je suis heureuse que les portes de l'université soient de nouveau ouvertes. »

« Il y a une grande différence entre se déplacer avec un fauteuil roulant et pouvoir marcher », Faris Jassim

Portrait de Faris Jassim.

Portrait de Faris Jassim.

© MSF/Florence Dozol

« Faris Jassim, patient pris en charge par MSF à l'hôpital Al-Wahda, à Mossoul Est. Il a été blessé pendant la bataille pour reprendre Mossoul au groupe Etat islamique. Il a connu plusieurs complications, a subi 25 interventions chirurgicales et son parcours vers la guérison a été très long. Aujourd'hui, il est sur le point de sortir de l'hôpital, sa jambe étant presque guérie. Avant sa blessure, Faris travaillait comme charpentier mais depuis qu'il a été blessé, exercer sa profession lui est devenue impossible.

J'ai vécu des moments très compliqués après avoir été blessé. Avant ma blessure, je travaillais comme charpentier, et je pouvais me déplacer tout seul, puis soudain, je me suis écroulé, je ne pouvais plus rien faire.

Pendant deux ans, j'ai eu des pensées suicidaires à cause de toutes ces opérations et traitements qui me semblaient interminables. Un moment particulièrement douloureux pour moi a été celui où je n'ai pas eu d'autre choix que d'ôter les boucles des oreilles de mes filles pour les vendre et pouvoir payer mon traitement. Les boucles d'oreilles sont un symbole dans notre culture, elles sont l'une des premières choses que nous offrons à nos filles après leur naissance. J'ai été très affecté. A un moment donné, alors que je n'avais plus aucun espoir de guérison, j'ai même demandé à mon médecin de m'amputer la jambe parce que je ne pouvais pas me permettre les traitements interminables et le fardeau financier que cela représentait pour moi. Mais heureusement, j'ai trouvé cet hôpital. Lorsque j'ai commencé à me rétablir, j'ai repris espoir. Il y a une grande différence entre se déplacer avec un fauteuil roulant et pouvoir marcher comme je suis capable de le faire aujourd’hui. Je sens que je suis de retour à la vie. Dès que je sortirai de l'hôpital, je veux simplement retourner dans mon magasin, reprendre mon travail. »

Faris, sur une chaise, écoute le promoteur de santé.

Un promoteur de santé explique à Faris les meilleures manières de ne pas développer dînfections suite à ses opérations chirurgicales.

© MSF/Florence Dozol