Rohingya: récits de vies en sursis

Mohamed Hussein, 65 ans, dans sa maison. Cox’s Bazar, Bangladesh. 29.06.2022

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Il y a 5 ans, environ 700 000 Rohingyas franchissaient la frontière avec le Bangladesh, pour échapper à une vague de massacres de grande ampleur. Aujourd’hui, presque 1 million de personnes dépendent de l’aide humanitaire pour survivre à Cox’s Bazar, le plus grand camp de réfugiés au monde. Marqués par la violence et l'exclusion dans leur pays, confrontés à des conditions de vie particulièrement précaires et au manque de perspectives d'avenir au Bangladesh, une génération entière survit dans les camps de Cox's Bazar.

Razi a travaillé pendant plus de 38 ans comme greffier civil au sein du bureau du ministre de l'Intérieur au Myanmar. En 1982, il a été déchu de sa citoyenneté en raison de son appartenance à la communauté Rohingya. Depuis, Razi s’est vu retirer ses droits et ses libertés. Depuis, il a été contraint de fuir au Bangladesh et vit dans les camps. Il se remémore cette période : « Après avoir obtenu l’indépendance des britanniques en 1948, le gouvernement nous a acceptés en tant que citoyens. Si le père de quelqu'un était né au Myanmar et le fils aussi, les deux pouvaient être reconnus comme des citoyens. (...) Tout a changé en 1978, lorsque le recensement de Naga Min, ou 'Dragon King', a été effectué. Le recensement a déterminé qui était un citoyen du Myanmar et qui était du Bangladesh. (...) Les autorités nous ont dépouillés de notre citoyenneté. (...) Malgré tout cela, nous pouvions encore voter. Nous avons élu des députés qui ont participé aux sessions parlementaires. Puis, en 2015, même notre droit de vote nous a été retiré. Un matin [en 2017], nous avons entendu des coups de feu. (...) Le lendemain, nous avons appris que des Rohingyas avaient été tués. »

Tayba Begum est mère de six enfants, elle a quitté le Myanmar avec ses seuls vêtements. Son fils a fui en Inde. Elle se remémore : « Mes jumelles, Nur Ankis et Nur Bahar, n’avaient que 6 mois lorsqu’on a fui notre pays natal. J'ai couru avec elles. (...)  Quand j'ai fui avec mes bébés, nous avons traversé des jungles et des routes boueuses sous la pluie battante pour arriver au Bangladesh. Le voyage a été difficile, surtout avec des enfants. Après avoir atteint la frontière, les gens se reposaient partout où ils pouvaient, mais il n'y avait nulle part où s'abriter. Nous nous sommes assis dans des buissons ou sous des arbres quand il pleuvait abondamment, en espérant voir de l'aide arriver. Nous mangions tout ce que nous pouvions trouver pour survivre. Mes filles devenaient faibles et vomissaient chaque fois que j'essayais de les nourrir. Elles ont souffert longtemps car il était difficile de trouver des médicaments à notre arrivée. Après quelques jours [à Cox’s Bazar], des abris en tissu et en bambou ont été construits pour nous. Depuis, nous vivons ici, dans les camps de réfugiés. Mes jumelles ont cinq ans maintenant. Cela fait cinq ans que nous vivons dans la détresse. Nous avons un abri, mais au-delà de ça, nous n'avons pas grand-chose pour nos enfants. Nous nous demandons comment les vêtir et comment les éduquer. Je ne peux pas fournir ce dont elles ont besoin car je n'ai pas d'argent. Parfois, je mange moins que ce que je ne devrais pour vendre le surplus de nourriture et acheter quelque chose à mes enfants. »

Tayeba Begum, mère de jumelles de 5 ans. Cox’s Bazar, Bangladesh. 29.06.2022

Tayeba Begum, mère de jumelles de 5 ans. Cox’s Bazar, Bangladesh. 29.06.2022

© Saikat Mojumder/MSF

Nabi Ullah a lui aussi fui en 2017. Il était accompagné de sa belle famille, qui a été tuée lors de leur périple. Cinq ans plus tard, il se demande quel avenir ses enfants vont-ils avoir. Il témoigne : « J'ai un fils et deux filles. Mon fils est né ici à l'hôpital MSF. Il a un an et demi. Mes filles sont nées au Myanmar. Ma femme est maintenant enceinte d'un autre enfant. Nous comptons sur l'aide alimentaire. Nous sommes dans une situation désastreuse.  Je vais à MSF chaque fois que je me sens mal et j'y emmène aussi mes enfants pour différents types de maux. Je m'inquiète pour eux (...) je veux qu’ils aient accès à l’éducation, il n'y a pas de plus grande richesse. La vie ici sera encore plus difficile lorsque nos enfants grandiront, sans recevoir d’éducation. »

Nabi Ullah, 25 ans, qui a fui au Bangladesh en 2017. Cox’s Bazar, Bangladesh. 27.06.2022

Nabi Ullah, 25 ans, qui a fui au Bangladesh en 2017. Cox’s Bazar, Bangladesh. 27.06.2022

© Saikat Mojumder/MSF

Anwar, âgé de 15 ans, se souvient encore avoir dû fuir le Myanmar il y a cinq ans. C’était à l’époque un élève studieux et plein d'ambition. Il ressent aujourd'hui une anxiété d’anticipation face à un avenir incertain.  Il raconte : « J'étais encore à l’école quand nous nous sommes échappés, alors quand je suis arrivé ici, mes études ont été interrompues. J'étais un bon élève avec de bonnes notes. J'aime apprendre, mais maintenant, je ne peux pas étudier ou obtenir les livres dont j'ai besoin. Seul l'enseignement primaire est disponible dans les camps de réfugiés rohingyas, rien de plus. Notre éducation en est restée là où nous l'avons laissée. La seule chance qu’on a d'apprendre c’est lorsque des enseignants de notre communauté rassemblent les enfants rohingyas pour leur enseigner. Ils font ça de tout leur cœur. Certains de mes amis manquent des cours parce qu'ils doivent subvenir aux besoins de leur famille. J’ai de la compassion pour eux. En apprenant, ils pourront enseigner aux autres et créer un effet domino. C’est comme ça que notre communauté pourra se développer et que notre génération pourra faire le bien. »

Anwar Arafat, Rohingya de 15 ans qui s'est échappé du Myanmar en 2017 et qui vit désormais dans le camp de réfugiés de Jamtoli au Bangladesh. Cox’s Bazar, Bangladesh. 29.06.2022

Anwar Arafat, Rohingya de 15 ans qui s'est échappé du Myanmar en 2017 et qui vit désormais dans le camp de réfugiés de Jamtoli au Bangladesh. 29.06.2022

© Saikat Mojumder/MSF

« Mon rêve était de devenir médecin, d'être utile à la communauté. Depuis mon enfance, je vois des médecins aider les gens et faire de leur mieux. Je comprends aujourd’hui que ce rêve ne pourrait jamais se réaliser. Pourtant, je me sens heureux quand je vais en cours et que je rencontre mes amis. Nous essayons d'être heureux tout en étudiant et en jouant. Notre vie dans le camp n'est pas facile. Ce que touche mon père n'est pas suffisant pour subvenir aux besoins de ma famille. Et parfois, quand je rentre de l'école le soir, je ne me sens pas en sécurité. Je voudrais m'adresser aux jeunes comme moi du monde entier. S'il vous plaît, utilisez l'opportunité qui s'offre à vous et apprenez autant que vous le pouvez. Mes compatriotes réfugiés rohingyas et moi n'avons pas une telle opportunité. »

En 2022, plus de 900 000 Rohingyas vivent dans des camps au Bangladesh. Ils n'ont pas le droit de travailler ou n’ont pas accès au système scolaire bangladais. Ils n'ont pas d'autre choix que de dépendre de l'assistance humanitaire pour subvenir à leurs besoins primaires. L'incertitude de leur avenir et celui de leurs enfants est une angoisse quotidienne.

MSF apporte son aide aux Rohingya, en complément de l'assistance fournie par les autorités bangladaises, en gérant 9 centres de santé dans les camps de Cox's Bazar et en soutenant l'installation et la maintenance d'un réseau sanitaire. Au Myanmar, les équipes continuent de fournir aux Rohingyas restés sur place des soins de santé de base, un soutien en santé mentale et prennent en charge le transfert des patients ayant besoin de soins en urgence ou de traitements spécialisés.