Le Pacte européen sur la migration et l’asile n’est pas une solution

MSF Geo Barents Search and Rescue

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Alors que l’Union Européenne (UE) vient d’adopter le Pacte européen sur la migration et l’asile, Médecins Sans Frontières (MSF) appelle les Etats membres à changer immédiatement de paradigme pour prioriser la sécurité de celles et ceux qui cherchent refuge.

Ce pacte, proposé en septembre 2020 par la Commission Européenne, a pour objectif de « fournir une approche holistique comprenant politiques migratoires, d’asile, d’intégration et de gestion des frontières ». Vendu à l’origine comme un « nouveau départ » dans les politiques migratoires et d’asile, il est aujourd’hui salué par la Commission Européenne comme un accord « historique » et une solution à la crise migratoire en Europe. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Plutôt que de s’assurer que les personnes cherchant la sécurité en Europe soient reçues dans des conditions dignes, le pacte ne fait qu’institutionnaliser la détention de facto et porte atteinte au droit des personnes à demander l’asile. Nous savons par notre expérience en Grèce que les barrières, les barbelés et la détention sont extrêmement néfaste pour la santé des personnes et ne peuvent être considérés comme une solution.

MSF Migration Pact EU Libya

"Les Libyens nous ont interceptés. Nous avons été déportés en Libye et emprisonnés dans le désert. Ce fut la pire expérience de ma vie : ils battaient tout le monde, mais j'étais leur cible préférée parce que j'avais des dreadlocks à l'époque. Ils prenaient plaisir à me torturer à cause de mes cheveux longs. Une fois, ils m'ont frappé avec un lourd tuyau métallique sur l'épaule et le bras. Les cicatrices sont toujours là. J'étais blessé et je souffrais, mais j'ai réussi à m'échapper en brisant l'une des portes de la prison avec d'autres détenus." Amadou [nom modifié], 20 ans, a commencé son périple à l'âge de 14 ans depuis la Guinée Conakry. Amadou et 75 autres personnes ont été secouru·e·s par le Geo Barents près de deux jours après avoir quitté la Libye, au milieu de vents violents et de vagues atteignant jusqu'à trois mètres de haut. "Je n'avais pas peur de mourir en mer. J'étais déjà mort en Libye".

© MSF/Candida Lobes

Nous avons vu dans nos projets à travers le continent la manière dont les Etats européens ont utilisé les notions de « crise » et de « mesures extraordinaires » afin d’abaisser les garanties pour les personnes en situation de grande précarité. Ces notions ont servi de sol fertile pour des pratiques violentes comme les refoulements aux frontières ou les détentions arbitraires et prolongées. La mise en place de ces mesures de crises ont restreint la capacité d’assistance d’organisations humanitaires indépendantes ainsi que la surveillance de la société civile, rendant de plus en plus difficile l’aide aux personnes dans le besoin.

  • Le pacte ne fait rien pour éviter que des personnes ne meurent en Méditerranée centrale. Au contraire, en se cachant derrière une terminologie vague, les leaders de l’UE sont libres de se détourner de leur devoir de sauvetage et de poursuivre la criminalisation et le sabotage des activités de recherche et sauvetage de la société civile.
  • Le pacte ne met rien en place pour s’attaquer de manière concrète aux violences systématiques perpétrées à grande échelle aux frontières européennes. Dans toute l’Europe, nos patient·e·s rapportent avoir été sujet·te·s à des refoulements, des mauvais traitements et de la violence aux frontières de l’UE. De tels refoulement sont accompagnés d’agressions corporelles, d’humiliations verbales et d’autres formes de traitement dégradants. Dans la plupart des cas, il est rapporté que ces abus sont perpétrés par les autorités d’Etat. 
  • Plutôt que d’adresser les causes structurelles qui ont permis la prolifération sans contrôle de cette violence, le pacte ouvre la porte à davantage d’institutionnalisation de ces tactiques de dissuasion en maintenant la pression aux frontières extérieures de l’Europe. Il ferme les yeux sur les dérogations aux droits à la sécurité et protections des personnes, et perpétue les narratifs déshumanisants contre les personnes dans le besoin.

Les frontières de l’Europe ne doivent pas être des portes vers la souffrance et la violence

Il est temps de mettre en place des politiques européennes qui sauvent des vies, et non qui les sacrifient. Né des atrocités commises lors de la Seconde Guerre mondiale, le droit de demander l’asile est la pierre angulaire des lois et des valeurs européennes. Pourtant, aujourd’hui, les dirigeants et les dirigeantes de l’Europe ont la fâcheuse tendance à détricoter ce principe fondamental, sapant ainsi un héritage construit sur les droits humains. Les équipes de MSF en Grèce, en Italie, en France, en Libye et en Méditerranée sont témoins des effets dévastateurs de la restriction des droits d’asile sur la vie et la santé des personnes. Ce changement alarmant est tout à fait inacceptable et profondément troublant, d’autant plus qu’il s’accompagne d’une normalisation croissante de la violence exercée aux frontières. Il est impératif que les dirigeants et les dirigeantes revoient leurs choix pour rassurer les citoyennes et les citoyens sur le fait que le bien-être et la dignité de tous les individus restent ce qui guide leurs politiques.