Gaza: survivre sous blocus, entre espoir et périls

Rania Sammour, conseillère en santé mentale pour MSF, discute avec un patient de 23 ans, blessé lors d'une frappe aérienne à Gaza en mai 2021, alors qu'il attend un examen médical.

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Plus d'un mois après l'entrée en vigueur d'un cessez-le-feu entre le gouvernement israélien et le Hamas, les Palestiniens de la bande de Gaza ne se sentent pas en sécurité et craignent une nouvelle série d'hostilités.

Le 11 mai, Mohanned, 12 ans, se trouvait dans la voiture avec sa tante lorsqu'une frappe aérienne a touché le quartier qu'ils traversaient. Mohanned a survécu à l'explosion mais a été blessé à la tête, au bras et à l'abdomen par des éclats d'obus. « Regardez-le », dit son père, Elsabea Musabeh, en soulevant le T-shirt de son fils pour montrer les larges couches de pansement de gaze enroulées autour de la taille de Mohanned. « C'est un enfant. Qu'a-t-il fait pour mériter ça ? »

« Il y a une guerre ici tous les deux ans », poursuit Elsabea. « Nous sommes habitués à cela - c'est la vie. Nous ne pleurons plus sur les bâtiments détruits. Nos enfants sont notre seul souci. »

Cela fait plusieurs semaines que Mohanned est sorti de l'hôpital. Certaines de ses blessures ont guéri, mais le traumatisme psychologique de cette expérience est encore frais. « Il n'aime pas parler de l'incident car cela lui rappelle des souvenirs », dit Elsabea. « Il se souvient de tout ». 

Une véritable crise de la santé mentale

Pour la plupart des Palestiniens de Gaza, les 11 jours de bombardements israéliens intensifs du mois de mai n'étaient pas la première fois qu'ils subissaient des frappes aériennes. Le traumatisme mental que représente le fait de craindre pour sa vie, de voir sa maison en ruines et les difficultés économiques qui accompagnent de telles expériences a des conséquences à long terme pour de nombreuses personnes, en particulier lorsqu'il vient s'ajouter à un traumatisme préexistant dû aux précédentes vagues de violence et à la vie sous 15 ans de blocus. La dernière offensive a aggravé la crise de santé mentale à Gaza et a rendu la situation encore plus difficile pour ses habitants.

Lorsque sa maison a été bombardée la nuit, Salma Shamali, 36 ans, son mari et leurs sept enfants ont tout juste réussi à s'échapper. « Nous avons entendu au moins 15 explosions », raconte Salma. « Nous étions tous dans une seule pièce. Les enfants dormaient. Puis une partie de la maison nous est tombée dessus. Nous étions désorientés. Personne ne nous a prévenus ou ne nous a dit d'évacuer ». Il leur a fallu plusieurs heures à tituber dans le noir pour atteindre la sécurité relative d'une gare routière voisine, où ils se sont mis à l'abri pendant cinq heures. De la gare routière, ils se sont dirigés vers une école. Lorsque la famille est rentrée chez elle une semaine plus tard, elle a constaté que sa maison était gravement endommagée. Ils ont dû louer une autre maison.

Malgré l'accord de cessez-le-feu conclu le mois dernier, le gouvernement israélien a depuis lancé des frappes aériennes sur la bande à deux reprises et le bruit perçant des drones dans le ciel de Gaza n'a pas cessé. Ce bruit tourmente la population nuit après nuit, la tenant éveillée et en alerte. Les enfants de Salma se cachent à chaque fois qu'ils l'entendent. « Nous ne voulons pas la guerre » disent-ils en pleurant. Elle essaie de rester calme et de ne pas perdre espoir.

Amira Karim, conseillère en santé mentale qui apporte un soutien psychologique aux patients de la clinique MSF de la ville de Gaza, explique que les récits des patients touchés par les récents bombardements - et en particulier ceux des enfants - ont déclenché ses propres souvenirs traumatiques.

Je me suis souvenue de la peur extrême de la mort. Je me suis souvenue comment mes enfants me tenaient serrée lorsque les bombes explosaient près de ma maison à minuit. Nous avions l'impression que c'étaient les dernières minutes de notre vie.

Amira Karim, conseillère en santé mentale chez MSF
Jana, 2 ans et demi, reçoit un traitement dans la clinique de traumatologie et de brûlures de MSF à Gaza. Le 16 mai 2021, les frappes aériennes israéliennes dans la région ont endommagé la clinique, où MSF recoit chaque année plus de 1000 enfants en consultation. Gaza, 22 juin 2021.

Jana, 2 ans et demi, reçoit un traitement dans la clinique de traumatologie et de brûlures de MSF à Gaza. Le 16 mai 2021, les frappes aériennes israéliennes dans la région ont endommagé la clinique, où MSF recoit chaque année plus de 1000 enfants en consultation. Gaza, 22 juin 2021.

© Tetiana Gaviuk/MSF

Les travailleurs de la santé en première ligne

À Gaza, tout le monde est exposé en permanence aux causes des traumatismes psychologiques, y compris les travailleurs de la santé. Leur résilience est mise à l'épreuve au quotidien, car ils aident les autres tout en étant eux-mêmes exposés à des événements traumatisants.

« Lors de la dernière escalade de violence, j'ai fait de mon mieux pour apporter un soutien à tous ceux que je pouvais atteindre - mes patients, mes collègues, mes amis et ma famille », explique Mahmoud Zeyad Awad, psychologue chez MSF. « Tout cela alors que je vivais moi-même la même expérience et que je devais faire face à la perte de deux de mes amis. Voir les patients se sentir mieux me donne la force de continuer à faire ce travail, mais j'ai peur d'échouer avec mes patients ou d’en devenir un moi-même. »

« Tout le monde à Gaza est affecté », déclare Juan Paris, psychiatre de MSF. Selon les rapports, 40 % des jeunes Gazaouis souffrent de troubles de l'humeur, 60 à 70 % souffrent de stress post-traumatique et 90 % souffrent d'autres pathologies liées au stress. « Le nombre de suicides et de tentatives de suicide a augmenté régulièrement en 2020, explique Juan Paris, bien qu’ils soient clairement sous-déclarés en raison de la stigmatisation des problèmes de santé mentale dans la société palestinienne. »

Pour soutenir les patients, le personnel et leurs familles, MSF a renforcé ses services de santé mentale à Gaza. « Les habitants de Gaza sont résilients » déclare Paris. « Leur résilience vient d'un fort sentiment d'engagement envers leur communauté, mais elle est mise à l'épreuve quotidiennement car ils continuent d'être réexposés aux traumatismes. Ils doivent endurer cela pour être en mesure d'aider les autres ».