«Sans dialyse, les patients irakiens mourraient»

A l’hôpital de Kirkouk, MSF forme le personnel irakien à des soins bien particuliers: le traitement des insuffisances rénales par la dialyse

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Une vingtaine de patients bénéficient d’une dialyse à l’hôpital de Kirkouk, dans le nord de l’Irak. Ce nombre ne représente qu’une fraction des personnes qui ont besoin d’un tel traitement.

Il est toujours aussi difficile de travailler en Irak. Ces deux dernières années, la sécurité s’est améliorée mais la situation reste précaire. C’est dans ce contexte troublé que MSF tente d’assister les Irakiens. L’organisation médicale apporte notamment un soutien à l’hôpital de Kirkouk, la ville pétrolière du nord de l’Irak disputée par les communautés kurde et arabe.

Les Irakiens ont subi deux guerres, plusieurs années d’embargo et sept ans d’instabilité et de violences, ce qui a déstabilisé le système de santé. Les structures hospitalières irakiennes manquent de personnel. Les urgences et les salles d’opération sont surchargées. Comme dans les autres pays de la région, les diabètes, les maladies des reins, du cœur et les cas d’hyper-tension artérielle sont en augmentation.

A l’hôpital de Kirkouk, MSF forme le personnel irakien à des soins bien particuliers: le traitement des insuffisances rénales par la dialyse. Pour pallier le dysfonctionnement de ces organes, un rein artificiel – une machine à dialyse - épure les toxines du sang du patient. Ce traitement est complexe et nécessite d’excellentes connaissances. Il faut remettre à niveau le personnel soignant. Un objectif réaliste: avant la guerre du Golfe de 1991 et les années d’embargo, l’Irak disposait d’un système de santé performant. Dans un premier temps, MSF veut mettre 80 patients sous dialyse trois fois par semaine. Relever ce défi dans un pays en conflit est doublement difficile.

Médecin à Sierre en Suisse, Patrick Ruedin s’est rendu à Kirkouk au mois d’octobre pour s’assurer de la qualité des soins. Spécialiste en néphrologie depuis plus de 25 ans, M. Ruedin est aujourd’hui âgé de 59 ans et avait effectué plusieurs missions humanitaires au Moyen-Orient et au Tchad dans les années 1980. Interview avec le docteur Patrick Ruedin, qui a visité le projet de MSF.

Combien de temps avez-vous passé en Irak?

Patrick Ruedin: Une semaine, dont deux jours à Kirkouk. J’y étais allé pour une première mission d’évaluation en octobre 2009. A l’époque, le bâtiment où étaient effectuées les dialyses était en rénovation. Le service ne fonctionnait pas du tout. Depuis janvier 2010, une vingtaine de patients bénéficient de ce traitement vital. La région de Kirkouk compte environ un million d’habitants. En Suisse, pour un tel bassin de population, on dénombrerait 600 patients sous dialyse. Il reste donc beaucoup à faire.

Est-ce le rôle d’une organisation humanitaire telle que MSF d’être active dans un domaine aussi pointu?

Le nombre de patients concernés est très restreint, c’est vrai, mais ils mourraient s’ils ne recevaient pas de traitement. On peut voir les dialyses comme une médecine élitiste, alors qu’il y a d’autres besoins plus criants. Mais l’Irak a les moyens de réintroduire cette spécialité. Il faut juste leur donner un coup de pouce. MSF n’avait pas de spécialiste en néphrologie disponible. C’est pourquoi ils m’ont demandé de les aider. C’est un partenariat très intéressant. Nous venons d’acheminer dix machines à dialyse jusqu’à Kirkouk. Ces appareils avaient déjà servi dans les hôpitaux suisses. MSF s’est chargée de la formation nécessaire en matière d’hygiène et de procédure de traitement pour les patients. Elle coordonne aussi le suivi technique et l’approvisionnement d’eau des machines à dialyse.

Quelles sont les prochaines étapes de la collaboration avec l’hôpital de Kirkouk?

Il faut continuer de former le personnel irakien pour qu’il puisse administrer des soins optimaux dans ce domaine de pointe. En tant que spécialiste en néphrologie et président de la commission humanitaire de la société suisse de néphrologie, je continuerai d’être le garant pour MSF de la qualité des soins fournis à Kirkouk. Je peux aussi faire le lien entre les Irakiens et les hôpitaux suisses, en particulier avec le service de néphrologie des Hôpitaux universitaires genevois, où je suis consultant et enseignant à la Faculté de médecine. Nous avons l’idée d’intensifier les échanges, notamment grâce à Internet. Nous avons besoin de cette collaboration, surtout pour certaines analyses. Pour purifier le sang d’un patient, il faut en effet une eau d’une qualité irréprochable. Une machine à dialyse en consomme 30 litres par heure. Or, les analyses les plus poussées ne peuvent pas se faire en Irak; même en Suisse, les hôpitaux ont besoin de laboratoires spécialisés.

Dans quelles conditions de sécurité s’est déroulée votre visite médicale à Kirkouk?

Ma mission sur place a été très brève mais je n’ai pas ressenti de tension particulière. Le trajet jusqu’à l’hôpital, situé au centre ville, dure une quinzaine de minutes. MSF ne recourt pas à des gardes du corps armés, parce qu’elle ne veut pas être confondue avec l’une ou l’autre des partie en conflit. Malgré la présence de nombreuses forces de sécurité, tout semble calme. A l’intérieur de l’hôpital, les différentes communautés collaborent sans problèmes apparents. C’est important de soutenir cet hôpital, car il rassemble au-delà des divisions récentes de l’Irak.

Malgré la poursuite du conflit en Irak, qui a rendu difficile la présence d’humanitaires dans le pays, MSF fait tout son possible pour fournir des soins médicaux à la population irakienne. Depuis 2006, MSF a mis en place des programmes dans toute l’Irak ainsi que dans les pays voisins, comme la Jordanie et la Syrie.

En tant qu’organisation médicale internationale d’urgence, MSF s’efforce de fournir une assistance médicale aux communautés affectées par des catastrophes naturelles, des conflits armés, des épidémies ou souffrant d’un manque d’accès aux soins de santé. MSF offre une assistance neutre et impartiale, sans aucune discrimination de race, de religion, de genre ou d’opinion politique.

Afin d’assurer l’indépendance de ses programmes en Irak, MSF n’accepte aucun financement de la part de gouvernements, d’organisations religieuses ou d’agences internationales. Pour effectuer son travail, MSF ne compte que sur des dons privés venant de particuliers du monde entier.

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