Opérer sous les balles au Yémen

La pire journée pour l’équipe fut le jeudi 26 mars où près de 110 blessés ont afflué vers l’hôpital.

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Valérie Pierre est la coordinatrice du projet chirurgical de MSF à Aden, dans le Sud du Yémen. Elle s’y trouve depuis le début des affrontements.

«Quand je suis arrivée à Aden, fin janvier, on pouvait encore aller en ville. Ce n’est plus le cas depuis que les combats et les bombardements ont débuté il y a à peu près deux semaines. Depuis lors, l’équipe internationale n’a plus quitté l’hôpital.
Notre projet chirurgical accueille principalement des blessés de guerre. Depuis le début des combats, nous avons pu traiter 580 patients. Jusqu’aujourd’hui, la journée la plus difficile pour l’équipe a été le jeudi 26 mars, où près de 110 blessés ont afflué vers l’hôpital. Mais si j’ai de raconter notre quotidien, c’est que cette journée (le 5 avril) est beaucoup plus calme. Je suis certaine qu’il y a autant de blessés que les autres jours, mais une des seules routes d’accès à l’hôpital étant bloquée, ils ne peuvent tout simplement pas arriver jusqu’à nous. Dès que la route sera de nouveau ouverte, nous nous attendons à un nouvel afflux de blessés, sans doute dès six heures du matin quand le couvre-feu prend fin. Nous aimerions envoyer dès maintenant plus d’ambulances pour aller chercher ceux qui ne peuvent pas venir ici, mais c’est beaucoup trop risqué.

Des blessures par armes à feu, souvent graves

La plupart de nos patients sont des jeunes hommes mais nous avons aussi soigné quelques femmes et des enfants dont certains jouaient dehors lorsqu’ils ont été blessés. Presque tous les patients sont blessés à l’arme à feux. J’ai vu plusieurs hommes d’une vingtaine d’années arriver avec la jambe totalement déchiquetée… C’est la première fois que je voyais des blessures si impressionnantes.  Notre service chirurgical n’est pas en mesure de traiter certaines blessures trop complexes, comme celles à la tête ou à la nuque. Nous devons alors envoyer ces patients dans d’autres hôpitaux.
Notre équipe de six expatriés et de 140 membres du personnel local travaille sans répit. Le personnel local continue de braver chaque jour le danger pour rejoindre l’hôpital. Lorsque le trajet vers leur domicile est trop risqué, nous essayons de les raccompagner chez eux en voiture. Mais souvent, ils passent la nuit à l’hôpital et sont morts d’inquiétude pour leur famille.
La tension est palpable autour de nous. Nous entendons le bruit des combats ou des bombes qui explosent dans les environs. Quand il y a une accalmie, nous en profitons pour voler quelques heures de sommeil, souvent dans le couloir de l’hôpital et à même le sol. Nous restons toujours le plus loin possible des fenêtres pour limiter les risques.

Besoin de renforts

Nous avons désespérément besoin que du personnel médical international viennent en renfort pour nous soulager. Notre chirurgien, notre anesthésiste et notre infirmier en chef sont totalement à bout. Une équipe de renfort a été mise sur pieds, mais elle est bloquée à Djibouti. L’aéroport d’Aden est fermé et le seul moyen de rejoindre la ville est de prendre un bateau. Il est hélas très difficile d’embarquer. Nous commencions également à manquer de matériel médical et de médicaments, mais nous avons reçu un approvisionnement de la capitale Sana’a, aujourd’hui. Mais à ce rythme, ce réassort sera vite épuisé à moins que nous n’en recevions de nouveaux dans les prochains jours.

L’impartialité et la neutralité garante de notre sécurité

Ce n’est pas notre rôle de demander comment nos patients ont été blessés. Nous prodiguons des soins à tout le monde, peu importe les circonstances. La seule question que je pose est de savoir où ils ont été blessés, et ce afin de savoir où se déroulent les combats et où nous pouvons envoyer nos voitures sans risques.
Il est évident que certains de nos patients sont des combattants, mais ils respectent notre règlement et laissent le conflit aux portes de l’hôpital. Nous accueillons des combattants des deux bords ; notre impartialité et notre neutralité sont les meilleurs garants de notre sécurité et c’est une condition absolue pour poursuivre les activités. Le fait de prodiguer des soins chirurgicaux gratuits depuis 2011 favorise aussi notre acceptation par les parties au conflit. Pour le moment, l’hôpital demeure donc relativement sûr. Nous restons évidemment très prudents. Il y a des combats partout à tel point que nous ne savons pas vraiment quelle partie contrôle notre quartier. Cela semble changer d’heure en heure.
Quand un gros afflux de blessés arrive, nous n’avons de toute façon pas le temps de réfléchir. Pour faire du bon travail, nous devons rester concentrés et garder la distance nécessaire par rapport à ce qui nous entoure. Ce n’est que lorsque nous nous asseyons pour faire le point et discuter des cas que nous avons traité que nous prenons la mesure de ce qui se passe dans le pays.

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