Sans évacuation médicale vers la Jordanie, les patients syriens n’ont pas de seconde chance

Aujourd’hui notre service est toujours sur pied, mais les chambres sont à moitié vides et le service des urgences très calme.

Jordanie3 min

Par Hardik Vyas, chirurgien dans le projet d’Ar Ramtha, dans le nord de la Jordanie.

« Avant le 21 juin, l’hôpital d’Ar Ramtha était constamment complet, plein de blessés de guerre. La frontière était ouverte, ce qui permettait de transférer les blessés graves dans notre service. A cette époque, nous terminions nos journées avec un sentiment mitigé, à la fois consternés par le nombre de victimes de la guerre en Syrie, et soulagés d’avoir pu venir en aide aux blessés et sauver des vies.

Des cas compliqués

Nous recevions des blessés graves, victimes de fractures multiples, de blessures à l’abdomen ou à la poitrine, de traumatismes, ainsi que des cas complexes nécessitant une prise en charge sur le long terme. Les patients transférés en Jordanie étaient généralement des cas compliqués. Certains avaient bénéficié de soins avant leur transfert, mais n’avaient pas été correctement pris en charge car les hôpitaux du sud de la Syrie ne disposaient ni d’infrastructures ni de moyens suffisants. Souvent, nous devions réopérer les patients.

Aujourd’hui notre service est toujours sur pied, mais les chambres sont à moitié vides et le service des urgences très calme. Le bruit assourdissant des explosions et des bombardements continue pourtant de nous parvenir depuis l’autre côté de la frontière, à cinq kilomètres d’ici. Les médecins, chirurgiens et infirmiers se tiennent prêts à accueillir les patients, mais notre service est en état d’hibernation.

Un sentiment d’impuissance

Chaque jour, nous sentons le sol trembler sous nos pieds, et pourtant, il nous est impossible d’imaginer l’horreur de la situation de l’autre côté de la frontière. Nous nous sentons à la fois si proches et si éloignés des populations touchées... Nous essayons désespérément de les aider, mais nous n’y sommes pas autorisés. Nous ressentons un terrible sentiment d’impuissance et sommes effondrés à chaque fois que nous apprenons que des blessés ont été refoulés à la frontière.
Quels soins  reçoivent-il de l’autre côté? Comment parviennent-ils à survivre? Vont-ils d’un hôpital à un autre? Quelle distance les sépare des hôpitaux les plus proches? Nous ne pouvons estimer le nombre de vies qui sont perdues alors même que notre hôpital se situe à seulement quelques kilomètres de la frontière.

Maintenant nous sommes condamnés à attendre

Dans le sud de la Syrie, les hôpitaux de terrain ne peuvent être que dépassés: ils reçoivent parfois jusqu’à cinquante blessés en une heure… ce qui implique qu’ils doivent nécessairement intervenir auprès de dizaines de patients en même temps. Ils doivent agir au plus vite pour sauver des bras, des jambes et des vies. Auparavant, nous pouvions leur venir en aide en prenant en charge une partie des blessés, mais maintenant nous sommes condamnés à attendre, ce qui est le plus frustrant.

J’ai entendu parler d’un garçon de dix ans qui s’est présenté à la frontière jordanienne il y a deux mois; il souffrait d’une grave blessure à la tête. Il s’est vu refuser l’entrée dans le pays et sa famille a dû l’emmener dans un centre de santé à Damas, car les hôpitaux du sud de la Syrie n’étaient pas en mesure de le traiter. Malgré tous les efforts déployés par sa famille pour le sauver, le jeune garçon est décédé. S’il avait pu atteindre notre service de chirurgie, il serait peut-être encore en vie aujourd’hui. Je n’arrête pas d’y penser… si seulement il avait pu. »