RD Congo/Ouganda: récits de fuite

Les récits d’atrocités se succèdent, dans une atmosphère empreinte de flou quant aux ressorts de cette violence, et à l’identité de ces auteurs.

République démocratique du Congo (RDC)5 min

Maisons systématiquement brûlées, traque de leur habitants dans la brousse, meurtres,… Les récits d’atrocités se succèdent.

« C’est la première fois que je fuis la RDC », explique Imani, 53 ans qui a connu la guerre en Ituri dans les années 2000. « Cette fois-ci, c’est différent. Dans les années 2000, nos maisons ont aussi été brûlées, mais on pouvait revenir dans son village. Aujourd’hui, les gens sont pourchassés pour être tués. Les assaillants nous poursuivent  jusque dans la brousse, avec des chiens ». 

Même écho dans le récit de Sifa, âgée d’une quarantaine d’années, rencontrée au lendemain de son arrivée en Ouganda et ayant déjà  fait l’expérience du déplacement à l’intérieur de l’Ituri il y a quinze ans.  « Nous nous sommes d’abord déplacés dans le village de Kafé, proche du lac. Mais les attaques ont continué à se rapprocher, les assaillants sont déterminés à tuer tout le monde, et personne ne nous protège. J’ai décidé de venir en sécurité ici, avec mes deux enfants de 12 et 15 ans, et mon mari est resté au Congo pour essayer de continuer à travailler ».

En transit depuis une dizaine de jours au Reception Center de Kagoma, Michel raconte que certains de ses proches ont été tués à coups de machette et de lances, tandis que les survivants se sont réfugiés dans le camp proche de l’hôpital général de Bunia. « J’étudiais pour devenir infirmier mais j’ai préféré utiliser l’argent économisé pour mes études pour payer la traversée du lac et venir en Ouganda ».

Baraka, 20 ans, est un pêcheur qui vient de Kafé. « Le 8 mars, vers 5h du matin, le feu a démarré sur les villages des rives du lac. Mes filets étaient dans l’eau, je les ai rapidement arrachés pour récupérer le poisson. En me rapprochant de Kafé, j’ai vu une femme s’enfuir vers le lac, elle a été rattrapée par un homme armé d’une machette qui l’a tuée. Ma pirogue de pêche n’était pas adaptée pour traverser le lac, je me suis immédiatement rendu dans la ville commerçante de Chomia pour trouver une barque et me rendre en Ouganda.  Ma femme et mes deux enfants avaient déjà traversé. Cela m’a couté 10 000 Francs CFA ».

Maisons systématiquement brûlées, traque de leur habitants dans la brousse, meurtres, … Les récits d’atrocités se succèdent, dans une atmosphère empreinte de flou quant aux ressorts de cette violence, et à l’identité de ces auteurs. Pour de nombreux réfugiés arrivés en Ouganda, ce qui est certain est que la situation ne peut pas se résumer à une résurgence des tensions historiques qui ont opposé les communautés Lendu et Hema sur le territoire depuis des décennies.

Beaucoup expliquent aussi ne pas savoir où se trouve leur famille, dont ils ont été séparés pendant leur fuite. Enfants, femmes enceintes, et personnes âgées se retrouvent isolés. Agée d’une vingtaine d’années, Henriette vit depuis quinze jours au centre de réception de Kagoma. Elle a fui lors de l’attaque de son village dans le territoire de Djugu à la mi-janvier. Elle ne sait pas où est son mari, ni son enfant, perdus dans le vacarme de l’attaque et de la fuite. Elle a donné sa valise, et les vêtements qu’elle contenait pour payer la traversée jusqu’en Ouganda, où elle est désormais seule et enceinte de 4 mois.

Un système d’accueil et d’assistance des réfugiés est en place en Ouganda, mais les structures du district de Hoima ont été débordées par le nombre d’arrivées et la réponse humanitaire reste encore insuffisante. Subvenir à leurs besoins et ceux de leurs proches est un défi pour les nouveaux arrivants « Depuis une semaine, on a fini les stocks de nourriture que nous ont distribué les autorités. Mon oncle se débrouille pour nous trouver à manger, notamment les petits poissons du lac »,  explique Joanne, adolescente de 14 ans récemment arrivée dans le camp de Maratatu.

Emmanuel, père de famille de 8 enfants, avait décidé de retourner en Ituri vérifier l’état de ses champs situés à moins d’une vingtaine de kilomètres de Chomia et de ramener de quoi manger. « J’étais au champ très tôt le matin pour récupérer du manioc. J’ai vu des flammes dans les villages près du lac. Je ne savais pas ce qui brûlait. Comme tout semblait calme depuis quelques jours, les habitants de mon village, qui dormaient en brousse par  peur des attaques, étaient retournés. Et c’est à ce moment-là, au petit matin, que les assaillants sont revenus, les ont attaqués à la machette et ont tués tous ceux qu’ils ont pu.  La seule solution pour me sauver, c’était vraiment la fuite à nouveau, je n’ai rien ramené ».