Malnutrition, l’approche communautaire

Au CRENI la surveillance des enfants est celle d’un service d’urgence pédiatrique. Très lourd à gérer. C’est pourquoi MSF développe le travail en proximité avec les communautés, dans les villages. Un moyen efficace d’éviter les trop grandes complications médicales.

6 min

A Magaria, une ville du Niger à deux pas de la frontière du Nigéria, le centre de réhabilitation nutritionnelle intensif de l’hôpital (CRENI) est presque saturé : 240 enfants y sont hospitalisés. « La prise en charge, dans de bonnes conditions d’un si grand nombre d’enfants, arrivant souvent dans un état désespéré, est une mission presque impossible », explique le docteur Claude Ngobe, responsable médical de MSF au Niger. «Nous devons accentuer le dépistage précoce des enfants malnutris, dans les villages même, pour limiter leur nombre à l’hôpital. » Dans une des aires de santé du district, MSF a décidé de travailler au plus proche des communautés pour prévenir les conséquences désastreuses de la malnutrition chez les jeunes enfants.

Magaria, village de Bakadougou. Yaou Dodo, le jeune chef du village de Bakadougou, reçoit ce matin l’équipe MSF dans son village. Il s’empresse de sortir quelques nattes de la mosquée toute proche et invite Amadou Roufai, le superviseur nigérien du projet communautaire et Renata Oliveira Silva, sa collègue brésilienne, infirmière MSF, à s’installer à l’ombre du manguier. Bientôt une foule d’enfants, de femmes et d’hommes, la plupart âgés, se presse autour du groupe.
La petite équipe MSF a quitté tôt le matin la ville de Magaria, passant d’abord à Dan Tchiao, le village le plus important de l’aire de santé, pour livrer plusieurs cartons de « plumpy nut »* au centre nutritionnel ambulatoire (CRENA) avant de mettre le cap sur ce premier village. Les deux premières pluies de l’année n’ont pas encore réussi à rendre impraticable la piste sablonneuse et le véhicule tout-terrain a pu se glisser sans encombre entre les groupes de cases rondes des pasteurs peulh. Celles-ci, comme partout dans la région, annoncent la proximité des villages peuplés d’agriculteurs haoussa. Bakadougou est l’un des 85 villages de l’aire de santé de Dan Tchiao qui compte environ 55’000 habitants.

« Tout le monde doit savoir que les soins sont gratuits »

La visite est importante. Il s’agit d’abord pour l’équipe de vérifier s’il y a des enfants malnutris dans le village. Pour cela, nous nous rendrons bientôt à la « case de santé »** où l’on nous fait savoir que l’équipe MSF est attendue.
Mais d’abord, il s’agit pour cette même équipe de profiter de cette réunion avec la population pour procéder au recrutement des agents communautaires. « Vous aurez la responsabilité de prévenir les mamans lorsqu’un de leurs enfants montrera des signes de malnutrition », explique Amadou Roufai en s’adressant aux candidats, deux jeunes hommes et une femme. « C’est vous qui veillerez à ce que les mamans se rendent bien à la « case de santé ». Tout le monde doit savoir que les soins y sont gratuits pour les enfants de moins de cinq ans et que les mamans vont vraiment y trouver les médicaments... » Cet approvisionnement en médicaments essentiels, MSF s’est engagé à l’assurer dans toutes les structures de santé de la zone où travaille l’organisation.
Théoriquement, les soins sont gratuits au Niger pour les enfants de moins de cinq ans. Mais l’application de cette disposition se heurte à de nombreuses difficultés bien réelles : manque de personnel de santé formé et payé, manque de médicaments, etc. De fait, la non-fréquentation des services de santé pose de graves problèmes dans cette région du Niger. Une enquête récente a ainsi montré que sur dix jeunes enfants de moins de cinq ans qui décèdent, huit meurent à la maison. Un sur trois n’aura jamais été emmené dans un dispensaire.
La mise à disposition gratuite de médicaments par MSF sera, à n’en pas douter, l’une des clés de la réussite du projet, même si ceci représentera un coût non négligeable. « S’il est important de convaincre les mamans de venir au poste de santé, il faut qu’elles y trouvent une réponse à leurs problèmes et ceci passe par la présence de personnel formé et de médicaments. Sinon, elles vont se décourager », explique Renata. « Nous allons pouvoir montrer l’efficacité de ces mesures » poursuit-elle.

Les greniers sont vides

Rendez-vous est pris avec les futurs agents communautaires pour une session de formation à Dan Tchiao. Tout le monde se dirige vers la case de santé. C’est un petit bâtiment de deux pièces que MSF vient de réhabiliter. Il est construit en périphérie du village et l’on enjambe les pousses de mil qui commencent à verdir après les premières pluies pour y parvenir. « C’est rudimentaire mais au moins, ici, il y a une infirmière » s’exclame Renata qui retrouve avec bonne humeur Aichatou, l’infirmière du poste.
Deux enfants fiévreux ont été amenés par leur mère. L’un d’eux est déjà très malnutri. La jeune mère explique que dans leur village, situé à quelques kilomètres, les greniers sont vides. Les hommes viennent à peine de rentrer du Nigéria où ils sont allés travailler depuis la dernière maigre récolte. Maintenant ils sont aux champs et il faut attendre jusqu’à septembre pour voir les prochains épis de mil et de sorgho mûrir. Si les pluies de juillet et août sont régulières… La « tia » de mil, environ 2,5 kg, coûte 550 FCFA (près d’un euros), et le pécule ramené du Nigéria par les hommes est vite épuisé.

« Cet enfant doit être intégré aujourd’hui dans le programme nutritionnel à Dan Tchiao », explique Renata. « Si nous ne l’emmenons pas, soit il viendra grossir rapidement le nombre des enfants hospitalisés à Magaria, soit il risque de mourir. Il faut convaincre la maman ». Pour l’autre enfant, les médicaments apportés par l’équipe vont suffire. La maman accepte assez facilement de monter dans le véhicule avec son jeune enfant et son grand frère. L’équipe prend la direction d’un second village ; une autre équipe d’agents communautaires à recruter et peut-être une ou deux autres mères à convaincre d’amener leur enfant au centre nutritionnel.

Le travail avec les communautés, ça marche !

C’est sous une pluie battante - « la troisième de l’année », insiste Amadou le superviseur - que l’équipe rentre en début d’après-midi à Magaria. Dans un village, un enfant sévèrement malnutri devait être référé en urgence au centre nutritionnel intensif de l’hôpital. Sur le chemin, deux enfants dont celui de Bakadougou ont été laissés au Centre de Santé Intégré de Dan Tchiao pour être pris dans son unité de nutrition ambulatoire(CRENAS). « Sur les 7’000 enfants de moins de cinq ans de cette aire de santé, on s’attend à ce que près de 800 d’entre eux soient touchés par la malnutrition pendant cette période de soudure. », précise Renata. A la question de savoir combien d’entre eux devront malgré tout aller au centre nutritionnel intensif de Magaria, Renata répond avec optimisme : « Avec notre travail dans les villages, moins cette année, c’est certain. Vous verrez, le travail avec les communautés, ça marche. Je l’ai déjà vérifié hier chez moi, en Amazonie, pourquoi pas aujourd’hui au Niger ! »
En attendant, pressé par l’arrivée des grandes pluies qui vont paralyser les déplacements, le projet prend son allure de croisière. Les agents communautaires, près d’une centaine, sont désormais presque tous formés. Le centre nutritionnel intensif de Magaria a vu, pendant ces derniers jours, arriver plus d’enfants des autres aires de santé que de celle de Dan Tchiao. Un signe très encourageant pour l’équipe communautaire.
* Marque d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi.
** La case de santé est le dernier échelon dans le système de santé publique nigérien

Actualités en lien