«Le sentiment d’impuissance est insupportable, mais je ne peux pas abandonner mon peuple»

Un hôpital de 15 lits à Idlib dédié au traitement de patients brûlés en janvier 2015.

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Un chirurgien soutenu par MSF dans le nord rural du gouvernorat de Homs témoigne de la peur invasive liée à la menace permanente d’attaques aériennes, mais aussi de sa volonté de rester pour assurer des opérations chirurgicales – octobre 2015.

« Je suis le seul chirurgien généraliste pour une population de 100 000 habitants dans les villes de Rastane et de Zafarana dans le nord du gouvernorat rural de Homs. La majeure partie des chirurgiens ont fui. Cette situation est difficile sur les plans personnel et émotionnel. Je ne peux pas partir et abandonner tous ces gens alors que d’autres chirurgiens ne seraient pas autorisés à entrer dans la région. Mais je ne suis pas heureux ici; ma femme et mes enfants sont constamment en danger. D’un côté, je ne suis pas épanoui dans cette situation, et de l’autre, je sais que toute une population a terriblement besoin de nous.

Les conditions sanitaires sont catastrophiques. Quand la campagne aérienne s’est intensifiée en octobre, plus de cent personnes sont mortes dès les premiers jours des suites des bombardements et plusieurs centaines ont été blessées ici dans la région rurale de Homs. Les populations déplacées ont peu de solutions de repli étant donné que la région est assiégée depuis l’été 2012. Elles fuient en masse les zones assiégées massivement bombardées, telles qu’Al-Ghantu et Ter Maela et se rendent dans d’autres localités assiégées relativement plus sûres – notamment Rastane et Zafarana.

Suite à la vague de déplacements de population, ces deux localités ont vu leur nombre d’habitants fortement augmenter, avec une population de plus de 100 000 personnes répartie dans ces deux villes à l’heure actuelle.

Dans l’hôpital de Zafarana, par exemple, notre service ambulatoire effectuait en moyenne 100 à 150 consultations par jour, mais, entre-temps, ce chiffre a augmenté de 50 pour cent du fait de la forte augmentation de population.

Il est très pénible de devoir opérer des enfants blessés

Il va sans dire que les hôpitaux situés dans des zones relativement calmes effectuent davantage d’interventions chirurgicales que ceux des zones bombardées. Les deux hôpitaux d’Al-Ghantu et de Ter Maela, situés dans une zone en proie à de violents affrontements, sont extrêmement sollicités, mais largement sous-équipés. Parfois, nous parvenons à leur fournir du matériel provenant d’autres centres hospitaliers. Comme il est très dangereux et difficile d’évacuer les blessés, les cas les plus graves sont soignés sur place, quelque soit les dangers.

Il est toujours très pénible de devoir opérer des enfants blessés. Un sentiment d’impuissance nous envahit, c’est insupportable.

Une frappe aérienne a tué huit personnes, dont cinq de la même famille: un père et quatre de ses enfants. L’un deux avait à peine six semaines, elle était encore vivante lorsqu’elle est arrivée à l’hôpital. Son petit corps avait été gravement mutilé par des éclats d’obus lors de l’attaque. Le problème, c’est que je suis moi-même père d’un bébé de douze mois. Même si on est régulièrement confrontés à des cas tragiques, comme des amputations et des crânes écrasés, le fait de voir un enfant en souffrance reste terriblement douloureux.

Routes d’approvisionnement coupées

Se procurer des médicaments est depuis longtemps devenu très difficile. Aujourd’hui, il est quasiment impossible d’en obtenir. Les routes habituellement empruntées pour le ravitaillement – telle que celle qui nous raccorde à Homs – ont été complètement coupées. Maintenant, on passe par une route qui mène vers le nord; elle n’est pas vraiment praticable, mais les gens commencent à l’emprunter. J’espère qu’elle nous permettra d’être ravitaillés en médicaments. Mais ça reste extrêmement difficile.

Du fait des nombreuses interventions effectuées, nous commençons à manquer d’anesthésiant, de gaze, de désinfectant, d’antibiotiques et d’anti-inflammatoires. Les hôpitaux ont épuisé leurs stocks stratégiques. Ceux qui sont situés dans des zones assiégées mettent au point des plans d’urgence pour se préparer à des cas de pénurie. La plupart ne disposent plus que de stocks déjà existants.

Situation alimentaire catastrophique

Différents hôpitaux de la zone rurale du nord de Homs dépendent entièrement des ravitaillements médicaux de Médecins sans frontières (MSF). Sans cette aide, la situation y serait bien pire. Sur le plan médical, le soutien apporté par MSF est tout juste suffisant, mais sur le plan alimentaire, les ravitaillements en nourriture et en lait infantile sont bien trop maigres. La situation alimentaire est catastrophique. Les associations sur le terrain ne sont pas en mesure de répondre à tous les besoins.

Le taux de pauvreté ne cesse de croître. Quand les gens sont pauvres, ils sont impuissants. Ils n’ont d’autre choix que d’endurer tout ça. Les plus fortunés ont pu fuir, mais pas ceux qui n’ont pas d’argent. L’une des raisons pour lesquelles les gens restent est aussi qu’ils refusent d’abandonner leur pays. Et la raison pour laquelle je reste est que je ne peux pas abandonner mon peuple.»