Journée mondiale de la santé mentale: il faut aussi soigner les blessures de l’âme

Journée mondiale de la santé mentale

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Lors de conflits ou de catastrophes naturelles, les équipes de Médecins Sans Frontières soignent aussi les souffrances psychologiques. Exemples aux Philippines ou en Haïti alors que ce dimanche 10 octobre marque la journée mondiale de la santé mentale.

« Tout s’est passé si rapidement… C’était terrifiant! » Ramon est un jeune homme timide originaire de Mindanao, aux Philippines. Comme des centaines de milliers de personnes, il a fui les combats entre les rebelles Moro et l’armée gouvernementale qui déchirent cette île située au sud du pays. « J’étais à la maison avec mon enfant de cinq ans lorsque j’ai entendu une bombe exploser juste à côté de chez moi. Je n’ai pas eu le temps de réaliser ce qui se passait. Je me souviens avoir pratiquement jeté mon enfant au-dehors avant de sortir. Tout le monde courrait. Certaines personnes me regardaient bizarrement. Je me sentais très fatigué et tout mon corps me faisait mal. J’ai dû m’allonger par terre. Après, je ne me souviens plus de rien. On m’a dit plus tard que j’étais couvert de sang et qu’on m’avait cru mort. J’avais reçu deux éclats d’obus dans le ventre. J’ai eu de la chance, car quelqu’un m’a conduit au poste de santé et j’ai pu être soigné. »
Mais pour Ramon, le soin de ses plaies au ventre n’a pas été suffisant. Guéri de ses blessures physiques, il ressentait encore des douleurs contre lesquelles les analgésiques n’avaient aucun effet. Ayant entendu parler des cliniques mobiles de Médecins Sans Frontières et n’ayant plus de médicaments, il s’y rendit pour une consultation. Là, on lui prescrit une nouvelle boîte de paracétamol, mais également une consultation avec un psychologue. Le bombardement de sa maison avait profondément traumatisé Ramon et engendré des souffrances psychologiques qu’un simple traitement médicamenteux ne pouvait soigner.
Ramon fait partie des 20% de patients qui se présentent aux centres de santé MSF avec des douleurs non spécifiques. Que ce soit aux Philippines ou dans d’autres pays, le personnel médical de l’organisation a appris à reconnaître l’expression corporelle des souffrances psychologiques. En effet, les palpitations cardiaques, les insomnies ou les douleurs non liées à un problème physique sont très souvent symptomatiques de troubles mentaux comme le stress post-traumatique, l’anxiété ou la dépression. Dans les contextes de violence, de destruction, de misère, de morts et de souffrances où MSF intervient, les problèmes de santé mentale prédominent souvent sur tous les autres et provoquent chez des milliers de personnes l’incapacité de fonctionner normalement au quotidien avec leur famille ou dans leur travail.
La santé n’est pas définie par l’absence de maladie, mais par un état de bien-être physique et moral. Des traitements efficaces existent pour la plupart des troubles mentaux et les malades qui en souffrent ont le droit d’être soignés. C’est pourquoi, depuis 19 ans, Médecins Sans Frontières s’efforce d’introduire un volet de santé mentale dans ses programmes médicaux, qu’il s’agisse par exemple de soutien psychosocial pour les personnes vivant avec le VIH/sida au Mozambique ou au Swaziland, de consultations en santé mentale pour les victimes de violences sexuelles en République démocratique du Congo ou au Guatemala ou encore d’un soutien psychologique d’urgence pour calmer et réduire les souffrances psychiques des patients suite à une catastrophe naturelle.
Arianna est psychologue. Elle a rejoint les équipes MSF en Haïti dix jours après le tremblement de terre du 12 janvier. « Le séisme a vraiment traumatisé la population ! » dit-elle. « Les gens continuaient à ressentir des secousses même quand il n’y en avait pas. En plus ils devaient faire face au deuil d’un ou plusieurs de leurs proches et penser en même temps à trouver de la nourriture, un abri pour la nuit où ils ne risqueraient pas de se faire agresser, à la saison des pluies qui arrivait… C’était vraiment trop. Alors, tous les matins, notre petite équipe de santé mentale faisait le tour des hôpitaux de fortune établis par la section suisse de MSF dans le jardin d’enfant Mickey et dans un lycée à Port-au-Prince. Nous essayions d’avoir un entretien avec chaque patient, pour qu’il ou elle puisse raconter ce qui lui était arrivé, dans quelle situation il ou elle se trouvait maintenant. Pendant ces séances, nous essayions de normaliser leurs réactions anxieuses. Nous leur expliquions que leur réaction était tout à fait normale face à cet événement, qui lui était anormal. Nous leur expliquions aussi qu’ils pourraient souffrir de cauchemars, de manque d’appétit, d’angoisse ou de douleurs physiques dans les semaines à venir et que dans ce cas, ils devraient revenir nous voir. »
Les consultations psychologiques individuelles qu’Arianna et son équipe ont effectuées quelques jours après le séisme seront suivies par des groupes de paroles un peu plus tard, lorsque la première phase d’urgence sera passée et que les gens commenceront à reconstruire leur vie. En partageant leurs émotions, leurs difficultés et leurs espoirs avec d’autres personnes ayant un vécu similaire, les participants du groupe pourront plus facilement prendre du recul par rapport à l’expérience traumatisante du tremblement de terre. Ils reprendront aussi plus facilement leur fonction au sein de leur communauté grâce aux échanges et au soutien mutuel généré durant les rencontres.

Adapter notre approche à la culture locale
MSF est très attentif à la présentation et à la perception culturelle des problèmes de santé mentale. C’est pourquoi les équipes sont toujours composées de personnel expatrié et de personnel local ayant déjà une expérience du soutien psychologique. Ceux-ci jouent un rôle primordial dans la prise en charge des patients, non seulement en tant que traducteurs, mais aussi pour la compréhension culturelle des troubles mentaux. En effet, ce qui est anormal dans une société ne l’est pas forcément dans une autre. Avant toute intervention, il faut donc appréhender la question de la santé mentale au sein de la communauté concernée et adapter le traitement utilisé à la culture locale.
Dans la plupart des pays du Sud, il n’existe pas de structures pour diagnostiquer et soigner les troubles mentaux. Ainsi, lorsque MSF ouvre une consultation psychologique, l’équipe de santé mentale est vite débordée par le nombre de patients se présentant. Les premiers arrivés souffrent généralement de troubles mentaux sévères comme des psychoses ou des dépressions. Ils souffrent aussi d’épilepsie, une maladie qui est particulièrement évidente pour la communauté et qui engendre souvent rejet et stigmatisation pour les malades.  
Comme pour Bassan, cette petite réfugiée somalienne de six ans. « La première fois que je l’ai vue, Bassan était attachée à une corde, » explique Pablo, le psychiatre MSF. « Elle était intenable et partait en courant dès qu’elle le pouvait. Comme personne ne voulait s’occuper d’elle, son père n’avait pas trouvé d’autre solution lorsqu’il devait s’absenter. Il ne voulait pas qu’elle se blesse en mettant sa main dans le feu ou que les enfants des voisins lui lancent des pierres. » Sur les radiographies, on voit clairement la partie endommagée de son cerveau. Les causes sont incertaines, peut-être un accouchement mal pris en charge ou un virus non traité. Dans un pays où le système de santé fonctionne, l’épilepsie de Bassan aurait certainement pu être évitée. Mais la Somalie est en guerre depuis 19 ans et ni Bassan ni sa mère n’ont pu bénéficier des soins médicaux dont elles auraient eu alors besoin. La fillette reçoit aujourd’hui un traitement pour sa maladie et elle n’a plus de crise. Son père n’a plus besoin de l’attacher.
Ramon aussi va mieux, même si ce n’est pas facile tous les jours. Il vit sans emploi, réfugié dans une ville qui n’est pas la sienne. Alors, il essaie de rester occupé, de prendre soin de son enfant ou de voir des amis pour tenir le coup. Il s’accroche de toutes ses forces à la perspective d’une vie heureuse avec sa famille.
Les psychologues MSF aident chaque jour des centaines de personnes à vivre leur vie et à fonctionner au quotidien. Dans les contextes où l’organisation intervient, leur travail sera de plus en plus important.

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